jeudi 28 novembre 2013

Marc-Edouard Nabe - "La dérision, c'est le bon filon"

Éloquent  extrait de Rideau de Marc-Edouard Nabe (1992) sur le recyclage autocannibale de la télévision et les commentateurs en tout genre qui pullulent aujourd'hui, de Jean-Marc Morandini à Bruno Roger-Petit en passant par Yann Barthès et Daniel Schneidermann. Quand la mort se nourrit de la mort dans une autocélébration forcément macabre - mais avec le sourire. Réjouissant...



Caricaturer les caricatures, c'est facile. A quoi servent les salariés de la dérision qui travaillent toute l'année à mettre en gags les ondes de la télévision ? Rien n'est plus effrayant que ces poupées à l'effigie des idoles du show-biz et de la télé gigotant devant nous qui avons déjà tant de mal à supporter les pantins originaux, en chair et en os. Et lorsque les marionnettistes s'inspirent des animaux pour "croquer" un homme politique, j'ai un peu honte ensuite quand je croise mon chat dans un couloir.

La dérision, c'est le bon filon. Elle a raboté l'humour pour le faire entrer dans la morale. Le détournement rentre dans le bon chemin. Ô satire intégrée !...

La subversion des gens de télé payés par la télé pour se moquer de la télé est nulle. Ceux-là sont encore plus tristement engloutis par le système que ceux qui font le même boulot au premier degré : en quelques pirouettes, imitations, clins d’œil, pignoleries dignes du dernier des monômes de grande école, ils espèrent porter un coup à la bête molle, mais elle les écrasera en temps voulu. On ne voit plus très bien la frontière qui sépare la dérision de la névrose. Les gagmen de l'autotélévision sont tenus d'amuser les seigneurs en cabriolant dans la grande salle du château et au moindre faux pas, les oubliettes les attendent. Les noms de ces gais larrons se sont choisis anticipent déjà sur l'avenir de leurs carrières. Quand ça tournera mal, les cachots de l'oubli grouilleront d'inconnus jadis célèbres et de nuls désormais mauvais.



Sans arrêt les médias se remangent eux-mêmes. Ils ont besoin de cet autocannibalisme. Les vedettes sont ces poulets élevés en batteries qui ne se nourrissent que de leurs propres excréments. On voit des choses extraordinaires : Mourousi vient présenter son livre chez Drucker qui vient présenter le sien chez Gildas qui, n'en ayant pas écrit lui-même, parle de celui de Claude Sérillon. A la petite cuillère, la logorrhée ! Le matin, vous avez même une émission de radio qui commente l'émission de radio qui commente l'émission de télé de la veille au soir, qui la refait, la rebouffe, avec les protagonistes et des auditeurs qui glosent dessus comme si ç'avait été une œuvre d'art, et toujours en direct, car on ne dégueule jamais mieux que dans les chiottes du restaurant d'où l'on vient de dîner. De même, les shows de variétés sont composés des meilleurs moments du même show diffusé des meilleurs moments du même show diffusé les semaines précédentes. L'hommage, le souvenir, le "medley" et le "best of" deviennent la matière même du présent. Tout ce qui sera est flanqué automatiquement de ce qui était. L'instant télévisé n'est instantané que s'il est gonflé par la rétrospective.

L'anthologie se fait sur place. Ça vient de ce que personne n'a digéré l'avant-garde du début du siècle, et cette nausée rejaillit de toute la terre.

Si nous subissons la dictature de la débilité mentale, c'est parce que les libérateurs du passé sont allés trop loin dans le futurisme de l'intelligence. Marinetti nous vaut Patrick Sébastien, Picabia ne pouvait enfanter que Jospeh Poli. Après Gertrude Stein, seule Dorothée pouvait apparaître sur cette planète.

dimanche 27 octobre 2013

Quand Jean-Jacques Schuhl rencontre Raul Ruiz

Dans son dernier livre L'Entrée des fantômes, Jean-Jacques Schuhl raconte son première rencontre avec Raul Ruiz. Une histoire pas banale où la guérilla se mêle à la superficialité du premier livre de Schuhl, Rose poussière.

Rose poussière et sa couverture mauve.

J'ai connu Raul Ruiz en 1975 ou 76, c'était à un déjeuner chez Barbet Schroeder, avenue Pierre-Ier-de-Serbie. Il revenait du Chili où, après le massacre du palais de la Moneda et la mort d'Allende, dont il avait été le tout jeune conseiller en audiovisuel, il avait gagné les maquis. Or, au beau milieu du repas, il m'avait tranquillement affirmé, d'un ton très matter-of-factly, que dans ces maquis de la guérilla il avait lu un livre que je venais de publier qui s'appelait Rose poussière. A peine un livre, un bric-à-brac rafistolé, qui avait dû trouver deux cents acquéreurs à tout casser, une version de Mai 68, de la Révolution, influencée par mes soirées à l'Alcazar, au Carrousel de la rue Vavin et par les films de Marlene Dietrich. "Si ! Je vous assure, c'est vrai !" Et moi je regardais ce visage bonhomme de clown triste derrière sa moustache, et je lui avais dit poliment : "Merci, merci, je suis flatté !" Mais, déjà là, je me demandais, je me le demande encore, si s'moquait pas un peu d'moi, par hasard. C'était une espèce de récit pour fashionistas déglingués sur la mode sophistiquée du Londres de Mary Quant, de Vidal Sassoon et de Christine Keeler, et sur les grâces fatiguées d'un travesti, et je ne voyais pas du tout ce que les faux cils, les make-ups un fanés et délétères des pâles filles anémiques de chez Biba Kensington High Street avaient à voir avec les guérilleros de la sierra, mitraillette à l'épaule, battle-dress en lambeaux... Cette nuance dusty pink allait sur les paupières de la belle Christine mais n'était pas pour les barbus de la sueur. A Raul ça n'avait pas semblé poser de problème ! Il avait son petit livre mauve - c'était la couleur de la jaquette - dans son paquetage avec la cartouchière et la pharmacie de secours ! Il est vrai que question poids, le petit livre mauve, si "svelte", comme s'était moqué un critique, avait son avantage lorsque chaque gramme compte : quatre fois plus léger qu'un numéro de Vogue. Je me suis rappelé ce western où le héros échappe à la mort parce qu'il porte partout la Bible sous sa chemise au niveau du cœur et la balle vient se ficher dedans : une balle des sbires de Pinochet aurait bien pu atterrir dans le visage de Marlene qui ornait en partie la couverture ! En traduisait-il des passages à ses camarades entre deux embuscades ?

mercredi 2 octobre 2013

Martial Raysse par Michel Bulteau

En 2008, Michel Bulteau a publié Sinéma, les anges sont avec toi, une "fantaisie" mettant en scène l'artiste Martial Raysse, surtout connu aujourd'hui pour ses néons clignotant sur le fronton du cinéma MK2, quai de Loire, à Paris. Martial Raysse a réalisé bien d'autres œuvres depuis la fin des années 50 : d'abord des toiles abstraites, puis des peintures "néo-réalistes" proches du mouvement Pop Art, avant de tourner plusieurs films dans les années 70. Il a beaucoup expérimenté avec les néons et les vitraux d'église. Une rétrospective 1960-1974 lui a récemment été consacrée à New York à la galerie Luxembourg & Dayan. Malgré des œuvres majeures, Martial Raysse est étonnement méconnu en France. Lui et Michel Bulteau se connaissent depuis les années 70 et ont beaucoup voyagé ensemble, de New York à Sana'a, en passant par Venise. Sinéma, les anges sont avec toi est une sorte d'hommage à l'artiste. En voici un extrait.

Martial Raysse - Nu jaune et calme (1963-1967)

Le mystère éclairé au néon

Martial Raysse sait que la poésie ne va pas sans précision. Que la poésie est un réalisme supérieur. Voilà pourquoi, dans Heureux Rivages, il peint, caché dans un feuillage, un amour avec un pistolet à flèches.

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"Les gens exigent qu'on leur explique la poésie. Ils ignorent que la poésie est un monde fermé où l'on reçoit très peu et où il arrive même qu'on ne reçoive personne", a écrit Jean Cocteau.
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Martial Raysse - Heureux rivages (2007)

Raysse a conjugué élégance et obscurité pour rendre visibles des images à la place des étoiles.
"Dans le pays d'où je viens, dit-il, j'ai toujours pensé qu'une fois la forme issue du projecteur, mur, plafond, toit, rien n'arrêtait sa course... Ces obstacles formant un écran permettaient simplement de lire son image, ici, dans ce pays ouvert comme une montre arrêtée, je vois comme on dit vivre, cette forme sourdre en moi, rond de fumée jusqu'aux plus lointaines planètes." (Oued Laou, 1969.)
Nous sommes en pleine allégorie extatique. Nous écoutons une prière en langue étrangère. c'est l'heure du Muezzin, l'heure des chants d'oiseaux, et celle des cris de hyènes.
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C'est aussi Thomas Browne que Martial Raysse m'évoque. Ce prosateur baroque, quand il discourt sur les jardins, ne se contente pas seulement des fleurs, des arbustes et des arbres, mais étend sa vision aux volières, aux étangs à poissons, à une grande variété d'animaux, faisant de son jardin le summum de la terre.
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Décidant d'ignorer le symbolisme des voyelles cher à Rimbaud et à quelques alchimistes, Martial Raysse, pour l'exposition de la galerie Arte Gogona, en novembre 1992, se lance dans un commentaire visuel des trois consonnes : X, Y, Z. Il s'agit de trois des Six images calmes.
La croix retrouve le mouvement (la vie) et devient un X. Y est le signe de l'union du masculin et du féminin dans le Grand Œuvre. Z, une sorte de trophée emplumé que n'aurait pas dédaigné ce vieux phraseur de Zarthoustra.
Raysse est assez d'accord, je crois, avec la phrase de Mallarmé : "Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s'enveloppe de mystère." Et parfois d'un mystère éclairé au néon.

dimanche 9 juin 2013

Jean-Jacques Schuhl : "Je n'aime presque aucun livre"

Extrait de Télex n°1, deuxième livre de Jean-Jacques Schuhl, publié en 1976. L'auteur y expose sa vision de la littérature. Dans un entretien de 2010, Schuhl déclarait : "Auteur expérimental... je n'aime pas trop cette idée, cela a quelque chose de très volontariste. Je me vois plutôt comme marginal, minoritaire, underground. A cela, le Goncourt n'a rien changé. La vérité, c'est que je me vois à peine comme écrivain, quoi qu'il en soit pas du tout main stream. Je me revendique ajusteur, monteur, plutôt qu'auteur."


Je n'aime presque aucun livre. Ils se ferment sur un univers, un ton, un style. Seule me plaît maintenant une écriture anonyme, fragmentée et fragile : une affiche murale commencée par l'un, continuée par un autre, indéfiniment, et que le vent ou la pluie peut effacer, les livres ici continuent à créer des personnages, à fabriquer des ambiances alors que voici venu le temps des discours sans auteur, des mouvements de masses, des gestes ébauchés et que le temps emporte, des mots parasités par des mots autres, brisés, semblables à des musiques qui se font ou se défont, s'opposent et s'unissent en même temps. Ce geste, ces mots ne sont pas ceux d'une personne : des masses entières les ont produits. Ce pas de danse de la saison n'a pas été inventé par quelqu'un, il vient, par de multiples relais, d'une façon qu'ont les ouvriers métallurgistes de chez Usinor de s'approcher lentement des fourneaux, protégés par de lourds tabliers d'amiante et de - ayant jeté le contenu d'une pelle géante dedans - retourner,  à reculons ou non mais en marchant-courant souplement,  la remplir, cela tous en même temps uniformément et trois fois à la minute.

Nos façons les plus sophistiquées viennent du monde du travail. Produire un texte qui ne sorte pas de la tête de quelqu'un (ni de sa plume) mais qui soit immanent, qui sourde du sol à la façon d'une momie exhumée, comment produire un tel langage qui est le texte politique ?

Lautréamont : "La poésie doit être faite par tous et non par un." Le reste c'est "tics, tics, tics" (Lautréamont). Le texte politique chinois remplit ce programme. Ratures de ratures de ratures de ratures de rat-

Texte mobile, fractionné, insaisissable (ratures de ratures) - la Chine a inventé les caractères d'imprimeries mobiles.

vendredi 7 juin 2013

Jean-Jacques Schuhl - Ready-made & cut-up (1975)

En janvier 1975, Jean-Jacques Schuhl écrit ce texte magnifique sur William Burroughs qui explique beaucoup de choses sur la technique et les fins littéraires de l'écrivain français. Rétrospectivement, ce texte s'affirme comme une explication du livre Télex n°1, publié en 1976 et enfin réédité cette année. Ce texte fait également penser à la phrase que prononce Jean-Pierre Léaud dans le film de Jean Eustache, La Maman et la putain (1973), film qui doit beaucoup à Schuhl, compagnon nocturne d'Eustache : "Parler avec les mots des autres, ça doit être ça la liberté".

William Burroughs et sa machine à écrire Royal.

Le cut-up existe sans Burroughs. c'est le journal. Les dépêches d'agence ont été déchirées, puis montrées. Il suffit alors de lire son quotidien sans se plier aux renvois en page intérieure (la suite, c'est ce qu'il y a à côté), c'est-à-dire comme un livre, en balayant toute la page, et en connectant les diverses rubriques. C'est un ready-made-cut-up. Pour ma part, je travaille à partir des journaux qui sont ce que reflète le mieux le discours officiel - surtout France Soir. Mais plutôt que de casser le sens, comme fait Burroughs, je préfère le miner de l'intérieur, le trahir, feindre de jouer son jeu, et le brouiller. Je prends donc une coupure de journal qui me séduit comme un beau symptôme, et la met en relation avec d'autres coupures, ou d'autres coupures (all around), ou avec ce qui se trouve au verso de la page (je découpe au ciseau la page et regarde ensuite ce qui se trouve au dos, matériellement ce qui est en rapport avec ce que j'ai voulu découper), ou en transparence à la lumière d'une lampe, pour obtenir un texte spectral (see-through). On peut dire qu'il s'agit d'une recomposition du journal, d'une redistribution de ses éléments, avec de minces jeux, des citations à peine déplacées, de légers décalages, des glissements, des transparences, des télescopages, mine de rien, d'une rubrique "sérieuse" (politique) et d'une rubrique "frivole" (turf, jeu des 7 erreurs). il faudrait qu'on y voit presque que du feu, que ce soir presque nneutre.

Le cut-up de Burroughs casse les circuits de la pensée. je préfère essayer de les pervertir doucement, de façon non-réparable.

Le réserve que je fais quant au cut-up est que c'est un peu trop cut, je préfère un démontage plus sournois où l'on mime le récit traditionnel et le mine. Glissements, court-circuits, décalages, blancs, petits grincements à l'intérieur du discours académique, plutôt que de cassures (il faut que ça ne casse rien). Exemple à suivre : Lautréamont. J'aimerais qu'on se dise : c'est ça, c'est bien ça, ce n'est que de la gentille actualité, et pourtant ! et pourtant ! Mais on ne sait pas dire ce qui se passe, d'où vient le trouble. Quelque chose comme la voix ou le geste d'un travesti, d'un robot synthétique, ou de W. Burroughs en faux clergyman anglican. J'aimerais arriver à écrire un livre avec un seul journal, à ce que ce soit une histoire qui n'a l'air de rien, qui provienne des rubriques recomposées du journal : il y a quelque chose qui cloche, mais quoi ? Évidemment, l'idéal serait de s'introduire la nuit au marbre de France Soir, et d'opérer en douce une recomposition qui, le matin, ferait dire à la ville, un peu gênée : "Il y a quelque chose qui cloche, mais quoi ?"

Mais il existe d'autre trahisons...

vendredi 24 mai 2013

Aphorismes de Karl Kraus

En 1909, Karl Kraus (1874-1936) rassemble en un volume les aphorismes qu'il a publiés dans son journal Die Fackel. Les sujets ? La femme, la morale, l'érotisme, le christianisme, le journalisme, la politique... Un regard assez acide sur ses contemporains. A la fois misanthrope et misogyne. En voici quelques extraits, choisis au hasard. Ou pas.

Karl Kraus, auteur malheureusement méconnu et peu traduit en France.

Rien n'est plus insondable que la superficialité de la femme.

Ils sont cent hommes à se rendre compte de leur pauvreté face à une femme qui devient riche en gaspillant.

Pour être parfaite il ne lui manquait qu'un défaut.

La cosmétique est le principe du cosmos de la femme.

Qu'est-ce qu'un dépravé ? Quelqu'un qui a encore de l'esprit là où d'autres n'ont plus qu'un corps.

J'aime bien monologuer avec une femme. Mais je trouve plus stimulant de dialoguer avec moi-même.

Quand je me fais couper les cheveux, j'ai peur que le coiffeur me coupe une idée.

Une vie mécanique favorise la poésie intérieure, alors que l'environnement artistique la paralyse.

La démocratie divise les gens en travailleurs et en fainéants. Rien n'est prévu pour les gens qui n'ont pas le temps de travailler.

Le parlementarisme est l'encasernement de la prostitution politique.

Le journalisme ne fait que servir en apparence le quotidien. En vérité, il détruit la réceptivité du monde futur.

Un poète en train de lire, c'est comme voir un cuisinier en train de manger.

L'art sert à nous essuyer les yeux.

L'actrice est la femme élevée à la puissance, l'acteur est l'homme réduit à la racine.

L'homme politique est plongé dans la vie, on ne sait où. L'esthète fuit loin de la vie, on ne sait jusqu'où.

L'idée est un enfant de l'amour. L'opinion est reconnue dans la société bourgeoise.

Le journal est la conserve du temps.

Cherche désert pour mirage.

jeudi 14 mars 2013

Masterclass de Sono Sion au Festival asiatique de Deauville


Sono Sion était l'invité d'honneur du 15ème Festival asiatique de Deauville, qui s'est déroulé du 6 au 10 mars 2013. Plusieurs films de Sono Sion ont été projetés : I am Sono Sion (1985), Love (1986), The Room (1992), Bad Film (1995), I am Keiko (1997), Suicide Club (2001) et The Land of Hope (2012). Le réalisateur japonais s'est également prêté au jeu de la Masterclass, interrogé par Stéphane du Mesnildot, spécialiste du cinéma nippon. Voici la vidéo de cette Masterclass :



Pour en savoir plus, lire cette interview de Sono Sion datée du 6 février 2010. Sono Sion y revient sur plusieurs film de sa carrière ainsi que sur des projets toujours non finalisés, comme le biopic sur Varg Vikernes, chanteur de Burzum, groupe phare de la scène de back metal en Norvège. Une histoire trash qui n'est pas sans rappeler les ambiances de Cold Fish...

samedi 9 février 2013

Ryuichi Honda - Pussycat Great Mission (2004)

Ryuichi Honda est un fan des années 60. Son film le plus célèbre est peut-être GS Wonderland, une comédie assez réussie sur le mouvement pop-rock Great Sounds, inspiré des Beatles, qui déferla sur l'archipel nippon à la fin des années 60. C'est toujours agréable d'écouter The Spiders, The Carnabeats, The Mops ou The Golden Cups (leur morceau "LSD Blues" à écouter ici). Ce n'est pas original mais c'est rafraichissant et plein d'énergie. Avant GS Wonderland, Ryuichi Honda a rendu hommage à un autre courant sixties : les films de sexploitation, notamment ceux de Russ Meyer. En 2004, à l'occasion de la sortie DVD de Faster, Pussycat! Kill! Kill!, il se voit proposer la réalisation d'un moyen métrage (43 minutes). Il accepte.

La contre-plongée est de rigueur pour ce film.
Pussycat Great Mission! reprend les principaux éléments de Faster, Pussycat! Kill! Kill! Trois jeunes femmes sexy à forte poitrine sont en cavale dans le Japon rural. Elles sillonnent les routes à bord d'un pick-up... dans lequel se trouve le cadavre d'un homme. Qui est-il ? Pourquoi est-il mort ? Nous ne le saurons pas. Interpelées par un policier pour excès de vitesse, les trois jeunes femmes provocantes (les combinaisons en latex et autres tops ultra-moulants remplacent le kimono traditionnel) ne vont pas réfléchir à deux fois pour user de violence. Harry (oui, c'est apparemment un prénom féminin), décalque de Tura Satana, interprétée par la plantureuse Kei Mizutani, boxe à mort le policier. Au moment du meurtre, un camion conduit par une jeune fille, croise les trois bad girls. Ni une ni deux, celles-ci remontent dans leur pick-up à la poursuite du témoin potentiel.

Ce policier n'aura pas vraiment le temps de se détendre.
Pussycat Great Mission!, un film sur la libération sexuelle.
L'une des Pussycats est danseuse. Et très chaude.
Pussycat Great Mission! est visiblement tourné avec un budget très limité.Mais l'ssentiel est là : prêcher la bonne parole russmeyeresque au Japon. Le trio des Pussycat est menée par la froide tueuse Harry (Kei Mizutani), le corps bien serré dans sa combinaison moulante... mais accusée d'être frigide. La rigolote de la bande est interprétée par Nao Eguchi (connue pour ses photos de charme). Yukari Nunokawa joue le rôle la pussycat bien obéissante et amoureuse de Kei Mizutani. Ce trio se frote à une faune locale un peu freak, comme dans les films de Russ Meyer. Ici, on a le droit à un riche propriétaire en chaise-roulante (sa jambe a été mangée par un requin !) qui vit reclus avec deux serviteurs : un colosse muet et une jeune fille innocente (Chiharu Muraishi, en maillot de bain pendant tout le film).

Nao Eguchi : la danseuse très chaude des Pussycats.
Chiharu Muraishi, l'ingénue de service.
Pussycat Great Mission! n'atteint pas la qualité des films de Russ Meyer. Mais ça reste un bon divertissement de 43 minutes.

dimanche 20 janvier 2013

Takashi Miike - For Love's Sake (2012)

Avec For Love's Sake, Takashi Miike adapte une nouvelle fois un manga : Ai to Makoto. Très populaire dans les années 70, ce manga a déjà été adapté à l'écran à plusieurs reprises : une série TV en 74-75 et trois films entre 1974 et 1976. Trente-six ans plus tard, le stakhanoviste de la pellicule Takashi Miike décide de s'y mettre. Depuis quelques années, Takashi Miike adapte beaucoup de mangas et de dessins animés : Crows Zero, Crows Zero 2, Yatterman, Ninja Kids! et donc Ai to Makoto. A ce rythme-là, Takashi Miike sera plus connu pour ses adaptations de manga que ses films de yakuzas.

Une des meilleures scènes du film : danse dans un bar à hôtesses.

Ai to Makoto raconte l'histoire d'amour entre Ai Saotome, une fille d'une famille riche, et de Makoto Taiga, un jeune bagarreur d'une famille pauvre. L'amour d'Ai (qui signifie justement "amour") pour Makoto (qui signifie "fidélité") remonte à l'enfance, le jour où le jeune garçon a porté secours à Ai, qui skiait tout schuss sur une piste noire sans pouvoir s'arrêter. Ce geste héroïque n'est pas sans conséquence pour Makoto : celui-ci se blesse au front, lui laissant une large cicatrice pour le reste de sa vie. Ai tombe immédiatement amoureuse de son nouveau "chevalier" mais celui-ci lui témoigne son hostilité : il lui explique que s'il avait su qu'elle était la fille d'une famille riche, il ne l'aurait pas secourue. Dix ans plus tard, Ai et Makoto se retrouvent à Tokyo. Si la jeune fille est une lycéenne modèle, Makoto passe son temps à cogner tout ce qui bouge (y compris des yakuzas) et se retrouve dans un lycée de cas sociaux.

Emi Takei dans le rôle de la samaritaine Ai Saotome.
Satoshi Tsumabuki dans le rôle du mauvais garçon torturé Makoto.

Toujours éperdument éprise de Makoto, Ai demande à son père (homme riche et respecté) de faire intégrer le jeune délinquant dans un lycée prestigieux (genre Janson de Sailly). Ai espère ainsi éloigner de la violence (douce vision rousseauiste) et gagner enfin son amour. Peine perdue : le rebelle sans cause frappe un professeur dès le premier jour. Il est donc expédié au lycée Hanazono : le lycée de cas sociaux où ne règne que la violence. Makoto va vite marquer son territoire en s'attaquant à un puissant gang de filles, dirigée par la teigne Gumko (interprétée par Sakura Ando, cheftaine de la secte Zéro dans Love Exposure de Sono Sion). Makoto va ensuite fréquenter Yuki, une lycéenne mystérieuse au visage d'ange triste... De son côté, Ai ne désespère toujours pas de conquérir le cœur de Makoto.

Sakura Ando à la tête d'un gang de jeunes filles.
Ito Ono, 17 ans, dans le rôle de la mystérieuse Yuki.

Avec For Love's Sake, Takashi Miike renoue avec un genre qu'il avait déjà abordé en 2001 avec La Mélodie du malheur : la comédie musicale. For Love's Sake contient six ou sept chansons kitschissimes qui s'intègrent plutôt bien au film. Comme dans le récent Ace Attorney, les décors du films sont un des points forts du film, surtout le lycée Hanazono et le bar à hôtesses dans lequel travaille brièvement Ai. Miike a toujours quelques éclairs de génie dans la mise en scène. C'est le cas dans la scène littéralement théâtrale dans laquelle Yuki raconte son enfance. Simple et efficace. En son temps, Seijun Suzuki aurait pu imaginer une telle mise en scène.

Joli décor de studio.

Malgré ces bons points, For Love's Sake est loin d'être une grande réussite. Le film est trop long (2h13) et souffre de plusieurs baisses de régime. Surtout, c'est le scénario qui n'est pas très stimulant. Miike s'attache surtout à raconter la bluette entre Ai et Makoto et à filmer des bagarres ennuyeuses (heureusement moins longues que Crows Zero). Miike fait l'impasse sur l'élément fondamental de l'incompréhension entre Ai et Makoto : les différences sociales. Dommage. For Love's Sake est donc un film moyen, ce qui est devenu la norme pour Takashi Miike depuis de longues années.

dimanche 6 janvier 2013

Zhao Liang - Paper Airplane (2001)

Zhao Liang est un documentariste chinois qui s'intéresse aux laissés pour compte de la société. Dans son premier film, Farewell Yuanmingyuan (1995), Zhao Liang montre l'affrontement entre la police et un groupe d'artistes installé dans un district rural près des ruines de l’ancien Palais d’été. Ce village d'artiste a finalement été fermé en 1995, les autorités craignant la propagation d'idées subversives. Dans son deuxième film, Zhao Liang suit le "parcours" d’héroïnomanes à Pékin. Les scènes ont été tournées entre 1997 et 2001.

Certaines scènes peuvent choquer les personnes sensibles aux aiguilles.

Dans cette période de quatre ans, Zhao Liang filme une dizaine de jeunes Chinois vivant d'abord en communauté dans des squats, se droguant et en jouant vaguement dans un groupe de rock. Au fil des années, presque tous les drogués sont arrêtés par la police, envoyés en cure de désintoxication ou des camps de travail. Quelques uns ont réussis à décrocher. On apprend dans ce film que la police préfère arrêter les consommateurs plutôt que les vendeurs. Les policiers gagneraient ainsi 10.000 yuans pour chaque drogué arrêté. Vérité ou mensonge de junkies ? On ne le saura pas vraiment. On apprend aussi qu'au début des années 2000, le gramme d'héroïne coûtait 350 yuans, ce qui est très cher par rapport au niveau de vie du Chinois moyen. Les drogués passent donc leur temps à trouver de l'argent pour acheter leurs doses à des dealers, souvent des Ouïghours. Un de ces dealers ressemblerait même à Paul McCartney !

Cela s'appelle "chasser le dragon".

Le groupe de drogués vit constamment sous la peur d'une descente de police. Un des drogués doit déménager deux fois par an pour éviter de se faire prendre. Le système judiciaire pour les drogués est particulier. A la première arrestation, le drogué est mis en cure de désintoxication pendant trois mois... aux frais du drogué, ce qui pose problème car leur famille est souvent pauvre. A la deuxième arrestation, la peine de prison passe à 18 mois. A la troisième arrestation, c'est trois ans dans un camp de travail.


Zhao Liang filme sans concession. On y voit donc de nombreuses scènes de prise de drogue. L'héroïne se pique ou se fume. Les promesses de décrocher ne tiennent pas plus de trois jours. L'addiction est trop forte. Zhao Liang a la pudeur de s'effacer et de ne pas juger. Sa proximité avec les drogués (dont l'un est son cousin) fait que ceux-ci semblent oublier la caméra. On est dans le cinéma-vérité. Une vérité que les autorités chinoises n'aiment pas divulguer. Mais quel gouvernement met en avant ses jeunes drogués ?