samedi 24 novembre 2012

Gao Qunshu - Beijing Blues (2012)

Beijing Blues de Gao Qunshu vient d'être élu "meilleur film de l'année" aux Golden Horse Awards de Hong-Kong. A la surprise du réalisateur, qui se considère comme un "amateur". Beijing Blues est pourtant son cinquième long-métrage. Il s'inspire de l'histoire vraie de Zhang Huiling, policier en civil pendant dix ans dans le district de Haidain, à Pékin. Le film a la particularité de mettre en scène des acteurs non professionnels mais connus pour leur activité de micro-blogging sur Weibo.

Le blogueur Lixian Zhang tient le rôle principal.

Sans réelle progression narrative, Beijing Blues montre le travail quotidien d'une équipe de policiers en civil qui traque les voleurs à la tire et les arnaqueurs en tout genre dans les rues de Pékin. Un peu comme un reportage de "90 Minutes" ou "Enquête Exclusive" sur la petite délinquance à Paris, en suivant une équipe de la BAC. Le réalisateur Gao Qunshu est d'ailleurs célèbre en Chine pour avoir travaillé pour la télévision. Ceci explique cela. Souvent filmé en caméra épaule au plus proche des acteurs dans des scènes de filature en voiture ou de courses poursuites dans les rues de Pékin, Beijing Blues reprend les codes du reportage télévisé mais sans le côté sensationnel et putassier. Le film est d'ailleurs assez terne. Il montre des gens ordinaires, souvent malheureux mais résignés à continuer à vivre. Certains voleurs admettent leur larcins en justifiant que c’est le seul moyen pour eux de faire vivre leur famille. D'autres montrent une certaine éthique en affirmant ne voler que les personnes riches ou non pékinoises. Une image finalement dépréciative de la Chine d'aujourd'hui.

Un mystérieux mendiant aveugle.
Pékin : ses rues et son trafic routier.

Amateurs, les acteurs font le boulot. Rien à dire à ce sujet. Ce qui fait défaut, c'est le ton monotone du film. il ne s'y passe pas grand-chose. C'est sans doute voulu mais cela provoque un léger ennui. Le seul fil rouge du film est la volonté du policier d'arrêter le célèbre voleur surnommé "Gold Digger" Zhang. Surtout quand celui-ci provoque la police en annonçant un prochain vol et de donner son argent pour payer l'hospitalisation d'une fillette renversée par un chauffard.

vendredi 23 novembre 2012

Yasujiro Ozu - Mon épouse, cette nuit (1930)

Mon épouse, cette nuit (その夜の妻 / Sono Yo No Tsuma en japonais et That Night's Wife en anglais) est le seizième film de Yasujiro Ozu. Tourné de mai à juillet 1930, ce film muet est une adaptation du livre d'Oscar Shisgall, From Nine to Nine (aujourd'hui complètement oublié), tout juste publié en épisodes dans la revue Shin Seinen. Comme le titre du livre l'indique, l'intrigue se déroule entre 9 heures du soir et 9 heures du matin. Mon épouse, cette nuit est un drame social à suspens tourné au trois-quarts en huis-clos. Six des sept bobines du film ont été tournées dans le même décor.

A droite, Tokihiko Okada et ses faux airs de Johnny Depp.

L'histoire est simple :pour payer le traitement médical de sa petite fille malade, Shuji Hashizume (Tokihiko Okada), un artiste fauché, braque à main armée un magasin. Poursuivi par la police, il réussi à s'échapper en taxi et rentrer à son domicile où l'attend sa femme, Mayumi (Yagumo Emiko), qui veille depuis deux jours sans dormir sur la petite fille malade. Quand Shuji arrive chez lui, il apprend que sa fille est entre la vie et la mort. Il se réjouit malgré tout d'avoir pu trouver de l'argent pour payer le médecin. Soudain, on frappe à la porte : le chauffeur de taxi fait son apparition et on apprend qu'il est en réalité un policier (Yamamoto Togo). Alors qu'il est sur le point d'arrêter Shuji, Mayumi se saisit de l'arme à feu de son mari et menace le policier. Un accord est passé entre ce drôle de trio : si au matin la petite fille va mieux, le policier pourra arrêter Shuji... S'ensuit une nuit blanche au cours de laquelle la tension monte peu à peu.

Yagumo Emiko et Tokihiko Okada : couple prolétaire.
Passé la première scène d'action (le braquage et la fuite de Shuji),le film bascule dans le drame social psychologique avec un quatuor d'acteurs réunis dans quelques mètres carrés : le mari braqueur par nécessité, la femme désespérée mais compréhensive, la fille malade et le policier pris de pitié pour cette famille démunie. En enchaînant les gros plans et les plans plus larges, Yasujiro Ozu se repose surtout sur la prestation de ses acteurs. Et il fait bien puisqu'ils sont très bons. Le policier joue le rôle du dur à cuire impassible qui, finalement, est ému par cette famille pauvre. Le braqueur, Tokihiko Okada, joue le beau gosse aux faux airs de Johnny Depp. Sa femme joue les héroïnes dévouées au dernier degré en approuvant les actions de son ami, allant jusqu'à menacer le policier intrusif. Quant à la petite fille, elle geint et émeut comme il faut. Avec ce suspens bien entretenu : Shuji sera-t-il arrêté par le policier au petit matin ?

Moment de tension : en cavale, Tokihoko téléphone pour avoir des nouvelles de sa fille.

Yasujiro Ozu s'est exprimé sur le tournage de ce film : "l’acteur Tokihiko Okada y a joué pour moi pour la pre­mière fois. En dehors de la pre­mière bobine, les six autres furent tour­nées entiè­re­ment sur ce même pla­teau. La conti­nuité de ce film m’a vrai­ment posé des pro­blè­mes. Ce fut dif­fi­cile, mais j’ai beau­coup appris. M. Kido, le pré­si­dent de la com­pa­gnie, m’a féli­cité et m’a dit de pren­dre des vacan­ces dans une sta­tion ther­male".

Yamamoto Togo : juste un flic.
Mon épouse, cette nuit a été projeté dans des conditions idéales le 23 novembre à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) : copié restaurée, accompagnement au piano et narration par un benshi ! L’art du benshi consiste à présenter les films muets, à commenter l’action à l’écran en révélant le contexte et les dialogues.


Extrait de Mon épouse, cette nuit d'Ozu (1930) [la projection est un poil trop rapide]

mercredi 21 novembre 2012

Masao Adachi et le bus de la révolution (écrits sur le cinéma, la guérilla et l'avant-garde)

Les éditions Rouge Profond viennent de publier la première monographie française consacrée au réalisateur japonais Masao Adachi. Le titre est savoureux : Le Bus de la révolution passera bientôt près de chez toi. Écrits sur le cinéma, la guérilla et l'avant-garde (1963-2010). On y trouve des textes autobiographiques, critiques et théoriques sur le cinéma d'avant-garde et révolutionnaire des années 60. Rappelons que Masao Adachi est le réalisateur de treize films dont Sex Game et Female Student Guerilla. Il a également joué l'acteur pour Nagisa Oshima et a écrit pas moins de 23 scénario pour Koji Wakamatsu entre 1966 et 1972. On peut citer le désormais classique Quand l'embryon part braconner et La Femme qui voulait mourir.

Masao Adachi sur le tournage de Le Bol en 1961.

De formation universitaire, Masao Adachi aime manier le concept et la théorie dans ses écrits sur le cinéma. C'est parfois un peu trop au sérieux, trop universitaire. Malgré tout, on apprend beaucoup de choses sur l'avant-garde japonaise des années 60, l'effervescence du milieu cinématographique. Au début des années 70, Masao Adachi décide prolonger la révolution du cinéma par la révolution terroriste en rejoignant le Front populaire de libération de la Palestine. Il s'en explique clairement dans de longs textes.

Pour les moins familiers de l'oeuvre de Masao Adachi, voici un extrait de sa "lettre au spectateurs français", rédigée à l'occasion de la rétrospective de son œuvre à la Cinémathèque française en 2010.

Titres des films de Masao Adachi.
Lorsque j'étais étudiant, la seule école où l'on pouvait étudier le cinéma était le département de cinéma à l'Université Nihon. Il commençait à y avoir des écoles qui enseignaient le technique. Mais moi, je suis allé à la fac. Cette Université étais alors une sorte de repaire d'étudiants passionnés. Nous étions tous fascinés par le mouvement surréaliste, certains d'entre nous appartenaient à des groupes néo-dada. En fréquentant ces camarades, j'ai été très influencé par le surréalisme, je l'ai même considéré comme le plus important courant de pensée à m'avoir construit. Ma conception théorique et ma conception pratique du cinéma sont toute deux ancrées dans ce mouvement.

Au sortir de l'université, la plupart ont commencé à travailler. Après avoir réalisé Le Bol et Vagin Clos, j'ai travaillé dans le but de ressembler le budget nécessaire afin de tourner les films qu'on voulait faire notamment dans des productions de spots publicitaires ou des documentaires. Bien sûr que ces expériences étaient intéressantes, mais j'avais toujours en tête de gagner de l'argent pour financer nos propres films.

Image de Galaxy (1967).
Par la suite, j'ai créé avec mes aînés le Van Institute for Cinematic Science, dont le nom paraît un peu austère. Nous y avons approfondi nos idées et y avons débattu. Pendant ce temps-là, le commerce du cinéma continuait d'évoluer. Du coup, nous aussi, il fallait s'y mettre pour de bon. Alors, j'ai frappé à la porte de Wakamatsu qui avait présenté Les Secrets derrière le mur au Festival de Berlin. Le film fut traité de honte nationale ! Pour lui, j'ai écrit de nombreux scénarios. J'ai aussi réalisé quelques films à petit budget, toujours dans le champs du cinéma pink. J'ai également travaillé avec Nagisa Oshima, un ami avec qui je buvais souvent dans les bars. Il m'a proposé de collaborer avec lui. C'était une époque plus simple, les réalisateurs pouvaient facilement s'entraider s'ils s'entendaient bien. C'est ce que je pense avec le recul. Je parle souvent du "cinéma comme mouvement", et non du cinéma d'auteur.

Après le mouvement néo-dada, les échanges avec des artistes et des auteurs m'ont énormément enrichi. ils m'ont beaucoup appris. Beaucoup d'amis m'ont permis de réfléchir à quel film je devrais faire et comment je devrais le faire. Ensemble, nous pensions que s'il y avait de moins en moins de films intéressants, c'était dû au déclin de la critique du cinéma. C'est ainsi que nous nous sommes intéressés à la critique cinématographique : il était temps de créer un lieu où l'on pouvait débattre des œuvres, pas juste pour les présenter ni donner nos impressions. Alors, nous avons publié une revue intitulée Critique cinématographique.

Image de Gushing Prayer (1970)
Puis, j'ai réalisé A.k.a Serial Killer. Plus tard j'ai développé la "théorie du paysage". Ma vie après cette période attire souvent plus d'attention. Mais c'est le même élan qui, après mon passage au Festival de Cannes avec Wakamatsu, m'a poussé à me rendre en Palestine pour voir la réalité de la lutte pour la libération. Avec des images tournées à cette occasion, nous avons réalisé Armée rouge/FPLP : Déclaration de guerre mondiale. Jusqu'alors je filmais des paysages selon ma "théorie du paysage", mais je voulais développer cette théorie en allant voir concrètement le paysage que je montrais. C'était ça, ma motivation. Voilà, en bref, mon parcours.

Ensuite, pendant des années, je suis resté avec des guérilleros palestiniens. C'était donc après trente-cinq ans d'absence que j'ai réalisé Prisonnier/Terroriste. Pour faire ce film, j'avais l'envie d'aller plus loin que Armée rouge/FPLP : Déclaration de guerre mondiale, qui avait plutôt la forme d'un documentaire journalistique, et de faire rebondir la "théorie du paysage". Moi-même j'ai été guérillero pendant de longues années. Je voulais faire face à cette réalité et en faire un film. C'est le thème du film. Voilà le chemin qui m'a mené jusqu'à aujourd'hui.