jeudi 6 septembre 2012

FJ Ossang : "Arrête ton cinéma français"

En 1994, FJ Ossang a publié le roman Au Bord de l'aurore, mélange de journal intime et de réflexions artistiques sur le début des années 1990. Entre des pages sur les premiers films de FJ Ossang, l'écriture du prochain scénario ou la mort de Helno (chanteur des Négresses Vertes), on trouve un passage intitulé "Arrête ton cinéma français". Une époque révolue ? Extraits.

FJ Ossang.

Le cinéma français ne s'intéresse plus qu'à cette putain de gloire nationale. Il se prend la tête à savoir quel est le plus français du cinéma français: Renoir ou Truffaut. Mazette, ce qu'ils exportaient, les bougres ! Vigo, Bresson, Tati, c'est la fantaisie décorative du rayon. Ils en jettent à côté de Dreyer ou de Jacques Tourneur - qu'on a récupéré de justesse à Bergerac avant de le classer dans les curiosités frenchies. Un as de la Série B qui a revitalisé Hollywood avec des astuces de chez nous.

Les français produisent. Ils ne savent plus trop où donner de la tête, entre un méchant complexe international, et l'envie de partager le gâteau de l'hégémonie américaine en infiltrant les marchés extérieurs avec une cochonnerie audiovisuelle qui oscille entre grimace chauvine à usage de propagande touristique, et serials camouflés en films de cinéma qualité-européenne - pour rectifier le goût local encore porté à l'exotisme des formes. On neutralise - vers l'intérieur, et vers l'extérieur. On recycle doucement l'Art et l'Essai dans le sauvetage des épaves commerciales. Ça devient l'Arrêt-Décès. La critique relaye la publicité du pauvre, et comme elle n'avance pas elle se lasse. les décideurs se regardent faire, ils admirent à coup de : Cinéma Français Vaincra Parce Que C'est Le Moins Fort. Les Italiens, les Allemands, les Espagnols, les Yougoslaves et les Soviets regardent en se demandant si cela est bien sérieux - l'Europe coproduit des navets que même Berlusconi n'arriverait pas à faire passer entre la réclame et des jeux où minitels rose et gazinière accouchent de la dépression subliminale - mais ça roule ! 130 films en 1993, si tout va bien ! On a infiltré la Floride du sud et les banlieues de Yokohama ! Nos cinéastes tiennent le pari de réhabiliter un art populaire où notre culture survit à l'industrie américaine. Travaillons à fonder un cinéma européen où toutes les langues exprimeront tous nos particularismes de vieux continent... Mon cul ! C'est à gerber ! La qualité-Europe est 100 fois plus démoralisante qu'était la qualité-France d'Autant-Lara et Christian-Jacques période marée basse ! Une veine : le ciné franco-français n'intéresse personne. 5 ou 6 produits amortissent la donne. 100 navets se ramassent en téléthon culturel, 3 ou 4 erreurs de programme survivent dans le sillage de la Nef des Cons.

J'étais une erreur. On m'a repéré. je coince au signal numéro 3. Le ciné français ne fait plus vendre ni livres ni peintures autochtones, mais ça peut encore caser des pulls, des camemberts ou des eaux de toilette... Tout est culturel. Alors je dis : A bas la culture ! A bas les décideurs ! A bas le cinéma ! A bas la France ! A bas l'Europe ! A bas les camemberts & Saint-Laurent ! A bas les colombes nationales ! A bas l'audiovisuel ! A bas les cons ! A bas, à bas, à bas !... Et puis je m'en fiche... Il y a tant à faire...

Lire également :
- FJ Ossang, Fernando Pessoa et Dom Sebastiao
- FJ Ossang - Les 59 Jours (1999)

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