vendredi 30 décembre 2011

Breton, Aragon, Musidora et le cinéma comme "grande réalité"

Surréalisme et cinéma ont vite fait bon ménage, comme en témoigne l'exemple suivant. La pièce de théâtre Le Trésor des jésuites d'André Breton et Louis Aragon a paru dans le numéro spécial de la revue Variétés, "Le Surréalisme en 1929" (à télécharger ici). Cette pièce devait être jouée le 1er décembre 1928, à l'occasion du Gala Judex destiné à venir en aide à la veuve de l'acteur René Cresté qui s'était illustré en 1917 dans le rôle de Judex dans le ciné-feuilleton de Louis Feuillade. René Cresté était mort en décembre 1922. Son nom resurgit dans les journaux en octobre 1928 quand on apprit que sa veuve, ayant à sa charge une fille infirme, après la perte de son emploi, avait tenté de se suicider. Le Gala Judex fut finalement repoussé au 7 février 1929 et Le Trésor des jésuites ne fut pas joué. Ce fut chose faite, une seule fois, le 17 mai 1935 à Prague, à l'initiative d'un groupe surréaliste tchèque.

musidora irma vep
Musidora est Irma Vep dans Les Vampires de Louis Feuillade.

Musidora, célèbre pour avoir tenu le rôle d'Irma Vep dans le ciné-feuilleton Les Vampires de Louis Feuillade, grand succès commercial en France en 1915, devait interpréter un des personnages de la pièce. En pleine Grande Guerre, Musidora devient vite une muse pour les poètes. La première rencontre de Breton et de Musidora a lieu en 1917 lors de la représentation théâtrale du Maillot Noir. À cette occasion André Breton lui lance un bouquet de roses. Dans une lettre du 23 juillet 1917 adressée à Théodore Fraenkel, André Breton écrit : "Musidora est bien la femme moderne en quelque chose". Dans une lettre de 1922 ou 1923, Aragon confirme l'importance de l'actrice : "l'idée que toute une génération se fit du monde se forma au cinéma, et c'est un film qui la résume, un feuilleton. Une jeunesse tomba tout entière amoureuse de Musidora dans Les Vampires, le ciné-feuilleton en dix épisodes de Feuillade".

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Pearl White en couverture de la revue Picture Magazine en août 1922.

Voici le prologue du Trésor des jésuites, un dialogue entre le Temps et l’Éternité, dans lequel il est question des ciné-feuilletons Les Mystères de New York, de Louis Gasnier, avec l'actrice Pearl White, et Les Vampires, de Louis Feuillade, avec Musidora.

Le Temps : Mirage, nous sommes au cinéma. les images de l'écran, infidèles comme de jolies femmes, s'effacent sous les yeux des spectateurs. Qu'importe ! Le rôle du cinéma n'est-il pas simplement de charmer les heures des hommes ?
L’Éternité : Les heures... les heures de loisir, les heures de travail. Qu'est-ce que les heures ? La pellicule s'altère, les grandes maisons d'exploitation s'effondre les une après les autres. il n'en va pas autrement de la vie, ce film impossible à suivre et dont cependant un jour s'éclaire mystérieusement le sens.
Le Temps : Bah ! tout passe.
L’Éternité : Non.
Le Temps : Qu'est-ce donc qui persiste ?
L’Éternité : Ce qui trouve dans la vie un écho merveilleux... Tiens, puisque tu t'intéresses au cinématographe, je vais te faire assister à l'apothéose d'un genre oublié, que les événements de chaque jour font renaître. On comprendra bientôt qu'il n'y eut rien de réaliste et de plus poétique à la fois que le ciné-feuilleton qui faisait naguère la joie des esprits forts. C'est dans Les Mystères de New York, c'est dans Les Vampires qu'il faudra chercher la grande réalité de ce siècle. Au-delà de la mode, au-delà du goût. Viens avec moi. je te montrerai comment on écrit l'histoire.

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