dimanche 27 février 2011

Juraj Jakubisko - Bubeník Cerveného Kríza (1977)

Juraj Jakubisko Bubenik
Juraj Jakubisko est le cinéaste slovaque le plus célèbre, bien que son œuvre soit largement méconnue en France. Surnommé un temps le "Fellini de l'Europe de l'Est" (même si Jakubisko lui-même cite plutôt l'influence d'Antonioni), Juraj Jakubisko est diplômé de l'École du Cinéma Tchèque (FAMU). Après avoir réalisé des films acclamés comme Les Années du Christ (1967), Jakubisko rencontre bientôt la censure, cette odieuse censure communiste de la Tchécoslovaquie des années 1970, qui vit alors ses "années de plomb" après l'échec du Printemps de Prague et le durcissement de l'État criminel marxiste-léniniste, usant allègrement d'intimidation et de répression, spoliant et assassinant à l'envi. En 1969, son film Déserteurs et nomades est donc interdit par les autorités.

Juraj Jakubisko Bubenik
Pendant près de 10 ans, Jakubisko ne pourra tourner qu'une poignée de courts métrages, dont Bubenik Cerveného Kriza (Le Joueur de tambour de la Croix Rouge, en français). Bubenik Cerveného Kriza, long de 13 minutes, est une critique de la guerre, vue du point de vue des enfants. Un enfant né sous les bombes, ses parents sont tués. Orphelin, il est recueilli, comme d'autres enfants, dans un orphelinat. Malgré les avantages de l'orphelinat (lit, couverts et éducation), les enfants ne peuvent s'empêcher de penser à leurs parents morts et de les idéaliser. Tous rêvent du joueur de tambour de la Croix Rouge.

Juraj Jakubisko Bubenik
Bubenik Cerveného Kriza est visuellement très réussi. Jaruj Jakubisko utilise de nombreux filtres monochromes, technique propice à l'onirisme, utilisée dans les premiers films muets mais également dans Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard (1965) ou Throw Away Your Books, Rally in the Streets de Shuji Terayama (1971).


Début de Bubenik Cerveného Kriza.

lundi 21 février 2011

Jean Rollin - La Comtesse Ixe (1976)

Jean rollin comtesse ixe
Jean Rollin, qui nous a quittés en décembre 2010, est une légende du cinéma de genre français. On le connaît surtout pour ses films de vampires, alliant érotisme, fantastique et onirisme. Des films d'auteur fauchés, parfois involontairement hilarants. Ce qui est moins connu, c'est que Jean Rollin a réalisé des films pornographiques, dans un but strictement alimentaire. Entre 1974 et 1983, il a ainsi réalisé plus de 20 films pornographiques, la plupart du temps sous le pseudonyme de Michel Gentil. Les titres sont à la fois très drôles et très éloquents : Tout le monde il en a deux (1974), Lèvres entrouvertes pour sexe chaud (1977) ou Remplissez-moi les trois trous (1978) ! On y retrouve généralement la fine équipe du porno gaulois des années 1970.

Jean rollin jean-pierre bouyxouJean-Pierre Bouyxou : assistant réalisateur... et acteur !

jean rollin michel gentilMichel Gentil alias Jean Rollin !

Dans La Comtesse Ixe, on retrouve donc deux des acteurs masculins les plus célèbres de l'époque : Alban Ceray et Guy Royer. Côté féminin, la distribution est moins prestigieuse mais on y trouve la fameuse Karine Gambier, qui a notamment joué dans quatre films de Jess Franco ! A noter enfin la présence de Jean-Pierre Bouyxou (expert du cinéma de genre), dans le rôle (sans scène "adulte") d'Arsène Bouyxou, gentleman cambrioleur.

jean rollin comtesse ixeUne fine équipe !

comtesse ixe rachel mhasRachel Mhas : voleuse et fausse comtesse.

Le scénario est très simple : un "baron" (Alban Ceray) organise une soirée privée, à laquelle est conviée la mystérieuse Comtesse Ixe. Cependant, l'invitation adressée à la Comtesse est interceptée par une femme masquée et costumée façon Irma Vep (Rachel Mhas). Cette dernière s'invite donc à la soirée (qui a bizarrement lieu en plein jour) en prenant l'identité de la Comtesse Ixe. Son but : détrousser les invités. Sa méthode : verser un liquide aphrodisiaque dans le champagne et commettre ses larcins pendant les ébats (collectifs) des invités. De façon totalement incohérente, la véritable Comtesse Ixe (Karine Gambier) apparaît bientôt : "je n'ai pas reçu d'invitation mais je suis venu quand même !". Pour enfoncer le clou, en plus d'être incohérent, le film est ennuyeux, les scènes mal filmées, les acteurs limités et les dialogues consternants. On imagine La Comtesse Ixe tournée en moins deux jours, bien sûr.

karine gambier comtesse ixeKarine Gambier restera habillée moins de trente secondes !

Interrogé par Nanarland.com, Jean Rollin explique l'ambiance de l'époque, sans cacher qu'il savait très bien que l'"on faisait de la merde" :
Quand on en est venus à la période X, le film ne comptait plus du tout. Ce qui comptait, c'était le tournage, c'était de prendre un plaisir qui existait à tourner avec des gens sympathiques, qui n'étaient pas du milieu du cinéma, mais du milieu de l'érotisme. Je dois dire qu'on avait constitué une petite équipe extrêmement sympa et on se retrouvait avec grand plaisir. Je me souviens qu'à la fin d'un tournage où l'on avait fait deux films X l'un derrière l'autre, avec les mêmes acteurs, qui avait duré cinq jours dans une maison près de Courtenay : tout le monde pleurait. C'était très particulier comme ambiance, il y avait vraiment une amitié solide entre tous les gens qui participaient à ça. C'était un vrai plaisir. On faisait de la merde, on le savait bien, mais c'était un plaisir. On se retrouvait ensemble, c'était un petit peu comme une famille. J'irais même jusqu'à dire que c'était un petit peu boy-scout comme ambiance !

Le début du film. Pour terminer sur une note positive, accordons que la musique jazz de La Comtesse Ixe est très sympathique :

samedi 19 février 2011

Akio Jissoji - Mandala (1971)

Akio-Jissoji-mandala
Mandala est le deuxième film de la trilogie bouddhiste d'Akio Jissoji. Trilogie qui n'est pas vraiment bouddhiste, d'ailleurs. Akio Jissoji a plutôt réalisé une trilogie sur la croyance et ses dérives. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le réalisateur expérimente à loisir et qu'il est difficilement possible de faire le lien entre Mandala et Uta, troisième film de trilogie. Qui pourrait objectivement dire qu'il s'agit de l'œuvre du même cinéaste ? Si Uta est un film complètement janséniste en noir et blanc (pour les occidentaux), Mandala est un film très expérimental. En couleur et en noir et blanc. Un vrai trip qui redéfinit le cinéma, tout comme Persona d'Ingmar Bergman et Purgatoire Eroïca de Kiju Yoshida. La mise en scène va complètement à rebours des préceptes, avec des plans décentrés et des travelings venus d'ailleurs. Un étonnement permanent.

Akio-Jissoji-Mandala
L'histoire est à la fois simple et difficile à raconter. C'est comme du Marivaux sadien. Deux couples passent leurs vacances dans un château et s'initie à l'échangisme. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que toutes leurs actions sont filmées et décortiquées par le "maître" du château, un illuminé qui veut constituer une communauté. Cette communauté est régie par des règles très simples : le sexe libre et l'agriculture. On pense évidemment aux sociétés rêvées par Fourier, Saint-Simon... et Sade. Mandala est très sadien : la communauté est retirée dans un château éloigné de l'humanité, le dogme prône le viol et le partage des femmes. Pour être clair, il s'agit d'une secte.


Akio-Jissoji
L'intrigue arrive quand un des couples (après un viol sur la plage, mais pourquoi l'expliquer) décide de son plein grès de rejoindre la secte et de vivre en communauté. Le mot d'ordre : "Arrêtez le temps = Arrêtez la mort". La communauté fait penser à l'abbaye de Thélème d'Alesteir Crowley et aux lieux sadiens, complètement retirés du reste de l'humanité. Le maître des lieux est très clair : ni enfant ni jouissance sexuelle et un malthusianisme impitoyable.

Akio-Jissoji
Akio-Jissoji
Akio-Jissoji

En 1971, Mandala est un ovni cinématographique. Même si c'est sûrement le film le plus "dynamique" de sa trilogie bouddhiste (les fans de Steven Steagal apprécieront trois minutes), le film est aujourd'hui un incontournable du film de secte. On pense à Love Exposure de l'excellent Sono Sion

Akio-Jissoji
L'appétit d'Akio Jissoji pour Sade est bien connu, voir Les Prospérités du vice du marquis de Sade (1988).

Bande-annonce de Mandala :

dimanche 6 février 2011

Frédéric Pardo - Home movie, autour du Lit de la vierge (1968)

tina-aumont
En avril 1968, au Festival du Jeune cinéma d'Hyères, un groupe de réalisateurs et d'acteurs décident de former le groupe "Zanzibar". Parmi ce groupe, on trouve le jeune cinéaste Philippe Garrel, le peintre Daniel Pommereulle, l'actrice Bernadette Lafont et le cinéaste Patrick Deval. De 1968 à 1970, financés par la mécène Sylvina Boissonnas, ils réaliseront une trentaine de films. Quelques semaines après les événements de mai 68, Philippe Garrel tourne dans la baie des Trépassés, dans le Finistère, Le Lit de la vierge, une parabole christique dénonçant le pouvoir de l'époque. Parmi les acteurs, on trouve Pierre Clémenti, Tina Aumont et Zouzou, soit une partie de "la bande de la Coupole" (des dandies branchés hippies, rock & roll, LSD et avant-garde).

tina-aumont
tina-aumont
Après le tournage finistérien, Philippe Garrel décide de tourner d'autres scènes à Marrakech, au Maroc, et à Grottaferrata, en Italie. Frédéric Pardo, ami de Philippe Garrel et amant de Tina Aumont, accompagne l'équipe, muni d'une caméra, et filme les coulisses du tournage : Home movie, autour du Lit de la vierge. On y voit Pierre Clémenti, Philippe Garrel, Jean-Pierre Kalfon, Valérie Lagrange, mais surtout Tina Aumont. L'actrice, qui vient de tourner aux côtés de Clémenti dans Partner de Bertolucci, est considérée comme une des plus belles femmes de l'époque. A juste titre. Sa beauté attire le coup d'œil. Et, comme toutes les jeunes femmes sérieuses, elle sait user à bon escient du khôl. Ce Home movie, d'une durée de 40 minutes, sonne finalement plus comme une ode à Tina Aumont qu'un documentaire sur le tournage du Lit de la vierge. On assiste tout de même à la préparation d'une des plus belles scènes du film, ainsi qu'à la destruction et à l'incendie d'un bus à deux étages (une scène filmée pour le film de Tinto Brass, L'Urlo).

tina-aumont
tina-aumont
Tina Aumont joua par la suite dans un autre film de Philippe de Garrel : Les Hautes solitudes, en 1974, aux côtés de Nico et Jean Seberg. Parmi ses autres apparitions mémorables, citons son rôle de "femme adultère" dans Le Messie de Roberto Rossellini, et son rôle d'amante dans Le Casanova de Fellini.

samedi 5 février 2011

Alain Robbe-Grillet - La Belle captive (1983)

Le film La Belle captive (1983) est une adaptation d'un roman d'Alain Robbe-Grillet paru en 1975 et titré d'après six tableaux peints par René Magritte entre 1931 et 1967, tous intitulés La Belle captive. En 1983, l'écrivain-cinéaste avait publié Djinn, son dernier roman avant La Reprise... en 2001 ! En homme libre et inventif, Alain Robbe-Grillet prend à son compte le polar, la conspiration politique, l'érotisme et le surréalisme pour créer un film non conventionnel. On peut ainsi affirmer que La Belle captive est au film d'espionnage ce que Trout Mask Replica de Captain Beefheart est à la musique blues.

Une des Belles captives de René Magritte.

Sara Zeitgeist et Walter.

Un soir, dans une discothèque, Walter, un agent secret, tombe sous le charme de la belle et provocatrice Marie-Ange van de Reeves. Alors que la belle disparaît bien vite, Walter part rencontrer sa supérieure, Sara Zeitgeist, qui le charge de donner un message urgent à Henri de Corinthe, un important home politique. En chemin, Walter découvre Marie-Ange van de Reeves étendue au milieu de la route, blessée et les mains liées. Il délaisse alors sa prime mission et se rend dans un manoir pour faire soigner la jeune femme blessée. Et le film part en vrille, nous entraînant dans un univers de recherche neuroscientifique sur fond de milice et de régime totalitaire.

Walter découvre Marie-Ange van de Reeves sur la route.

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Marie-Ange van de Reeves (Gabrielle Lazure) habillée...

Gabrielle-Lazuez-nueMarie-Ange van de Reeves (Gabrielle Lazure) nue.

Exécution sur la plage.

Comme toujours chez Alain-Robbe-Grillet, le montage du film est excellent. Moins érotique que Glissements progressifs du plaisir, La Belle captive est porté par de très bons acteurs : Daniel Mesguich en agent secret sous-delonien ; la belle et dominatrice Cyrielle Clair dans le rôle de Sara Zeitgeist ; la belle et perverse Gabrielle Lazure dans le rôle de Marie-Ange van de Reeves. Les second rôles sont parfois étonnant : on trouve Arielle Dombasle en femme hystérique, l'écrivain Roland Dubillard en savant fou, et Daniel Emilfork en flic avisé. Daniel Emilfork ! "Une sorte de gargouille vivante, un comédien qui aurait pu jouer Nosferatu sans maquillage", comme l'écrit Laurent Aknin dans Cinéma Bis. On ne saurait mieux dire !

Daniel-EmilforkDaniel Emilfork dans toute sa splendeur.

Arielle-DombasleArielle Dombasle en femme hystérique.

Extrait vidéo : Walter et Marie-Ange van de Reeves entrent dans un manoir pour chercher des secours. C'est à ce moment que le film tourne au glauque.

vendredi 4 février 2011

Jean Parvulesco - Rapport secret à la nonciature (1995)

Jean-Parvulesco-Rapport-secret-nonciature
En 1995, Jean Parvulesco a publié un court récit de 120 pages, Rapport secret à la nonciature. Titre pour le moins énigmatique, qui n'étonnera pas l'amateur de Parvulesco, écrivain occulte, souterrain, clandestin, mystique et métapolitique. Rapport secret à la nonciature, autobiographie mi-réelle mi-rêvée (mais qui saurait démêler le réel du rêve ?) commence par l'emprisonnement de Jean Parvulesco dans l'actuelle Bosnie, dans un camp de travail de la Yougoslavie titiste. Sous le joug des communistes et de la police politique secrète (UDBA), Parvulesco creuse des tombes pour les fusillés.

L'impitoyable hiver de 1948, je me trouvais à l'ouvrage au camp de travail forcé desservant les mines de charbon de Litva-Banovici, près de Sarajevo, en Bosnie [...] Classé d'emblée parmi le petit groupe des politiques dits "absolument irrécupérables", je devais, outre le travail de la journée dans la mine, me livrer aussi, "à la tombée de la nuit", à certaines "obligations spéciales". Dont celle de mettre, au flanc de la colline aux fosses communes, les malheureux qui, de temps en temps, tentaient de s'évader du camp et qui, presque toujours, se faisaient reprendre et exécuter sur place ; ou les victimes de certains interrogatoires, parfois trop poussés, voire même des accès de rage paranoïaque des jeunes gardiens du camp, des "membres d'élite" des "jeunesses communistes" sous le commandement d'un officier des forces de sécurité de l'UDBA faisant, sur place, fonction de commissaire politique.

Jean-ParvulescoJean Parvulesco, espiègle et mystérieux.

Lors de sa deuxième évasion, Jean Parvulesco assiste à des événements mystiques dignes de communions catholiques (à base de pains). Malheureusement pour lui, à Dubrovnik, alors qu'il tentait de s'échapper vers l'Italie, il se fait arrêter par la police titiste et retourne en camp de travail. La troisième évasion sera la bonne. Trente-cinq ans plus tard, en 1984, quelques mois après les apparitions mariales de Medjugorge, Jean Parvulesco, alors établi à Paris, se rend (clandestinement, bien sûr) sur les lieux où il fait une rencontre marial des plus troublantes, prélude à une révolution spirituelle. Mais rien ne se passe... Jusqu'en 1994, soit dix ans passés, Jean Parvulesco croise enfin un signe, une femme, qui lui révèle les prémices de "la Grande Déferlante du nouvel embrasement marial et christologique". Le livre se termine par une ode au Sacré-Cœur, sis dans le 18ème arrondissement de Paris.

Vous aviez bien raison de penser que certaines suites de Medjugorje allaient très nécessairement avoir lieu en France : il fallait que cela se fasse, mais cela ne s'est pas fait. Pourquoi ? A cause de certaines complicités, terrifiantes, des complicités dont on a pu voir qu'elles se trouvaient implantées jusque dans le camp même de la Foi l'inusable puissance de l'Ennemi est en effet parvenue à déjouer nos plans. Nos plans les plus secrets, impénétrables en profondeur. Cela, pour le moment. Mais c'est nous qui allons avoir le dernier mot, nous le savons d'avance. L'immense embrasement de la Foi renouvelée, de la Foi vivante et limpide, jeune, révolutionnaire, qui submergera l'Europe - l'Europe de l'Ouest et, ensuite, l'Europe de l'Est - et qui va s'étendre jusqu'aux ultimes confins du Grand Continent Eurasiatique, aura son épicentre déflagrationnel et sismique en France, et c'est bien à vous -même et à vos groupements spéciaux d'intervention et de présence spirituelle d'agissante que reviendra la tâche de régir, d'encadrer l'ensemble des vagues successives dont sera faite la Grande Déferlante du nouvel embrasement marial et christologique de ce monde-ci, et des mondes que l'on ne sait même pas voir mais qui n'en sont pas moins déjà concernés par la formidable bataille spirituelle en cours, la dernière bataille, la bataille fondamentale de nous autres [...]

L'épicentre occulte du salut se trouve donc en France, à Paris même : au cœur de Paris, à Montmartre, puisqu'il s'agit du Sacré-Cœur de Montmartre. Et nous voilà revenus à la conspiration du Sacré-Cœur, que ni vous ni moi nous n'avions un seul instant quittée...