vendredi 26 novembre 2010

Nicolas Bonnal et Jean Parvulesco


Jean Parvulesco (né en 1929) est mort le dimanche 21 novembre 2010, jour de repos du Seigneur. L'homme, très secret et méconnu, n'en est pas moins mythique. Mythique y compris pour les personnes qui n'ont jamais lu ses livres. Il est vrai qu'un homme qui cumule les connexions entre le mysticisme (Julius Evola et René Guénon), l'ésotérisme (Raymond Abellio et Louis Pauwels), la révolution (Ezra Pound et Dominique de Roux), le cinéma (Jean-Luc Godard, Éric Rohmer, Jean-Pierre Melville et Barbet Shroeder) et la médiocrité (Marguerite Duras), ne peut que forcer le respect et l'admiration. De Jean Parvulesco, tout est encore à découvrir... Ironie du sort, son apparition la plus célèbre, en 1959, n'est pas de lui. En effet, dans A Bout de Souffle de Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Melville incarne sur la pellicule de manière magistrale Jean Parvulesco en répondant à la question : "quelle est votre plus belle ambition dans la vie ?", "Devenir immortel... et puis... mourir". C'est chose faite.


En janvier 2007, à l'occasion de la sortie du roman de Parvulesco Le Sentier Perdu, Nicolas Bonnal, écrivain français post-punk épris de Virgile, du Tasse, du romantisme allemand et de la série télé Le Prisonnier, s'est fendu pour Le Libre Journal d'un article reproduit ici. Il s'intitule "Horbiger descend en Enfer avec Parvulesco".

J’ai rencontré Jean Parvulesco il y a seize ans. C’était une époque où tout nous semblait encore possible. Le mur venait de s’effondrer, l’après histoire venait à peine de commencer son cycle mort, nous guettions de signes de l’invisible. En ce temps-là l’invisible nous motivait encore.

Jean venait de publier Les Mystères de la villa Atlantis, livre inaccessible au plus grand nombre et même au plus petit. Mon attention alors se portait sur Mitterrand, sur lequel il écrivait des phrases fabuleuses. Mitterrand couvert d’abeilles, Mitterrand héritier de Memphis…

Fabuleux est le mot qui pour moi décrit le mieux l’œuvre de Parvulesco. La constance et l’énergie de l’auteur lui ont gagné une estime étonnante dans le monde entier, de Vladivostok à Santiago du Chili aussi bien que de l’Atlantique à l’Oural. Actuellement, son maître ouvrage porte sur Vladimir Poutine et l’Eurasie. Il est traduit et célébré par toutes sortes de coteries ésotériques, lui qui avait commencé par fasciner Jean-Luc Godard lui-même (Dans A bout de souffle, Jean-Pierre Melville joue son rôle). Mais très vite l’oeuvre a été pour moi beaucoup moins importante que l’homme, même si je considère que Jean Parvulesco est le dernier écrivain. Ni le plus grand écrivain, ni le plus grand occultiste, ni rien de tout cela, mais le dernier auteur à avoir conçu une œuvre, au sens classique du terme. Il y en a peut-être d’autres, mais je ne les connais pas. Ce ne sont pas des amis.

Pauvre comme lui, j’ai beaucoup habité dans le XVIème où nous sommes toujours beaucoup vus, pratiquant un bon voisinage ésotérique entre Pompe et Muette, Passy et Boislevent. Là je l’ai écouté me parler des « combines », comme il dit, de métapolitique et de géopolitique, de galactiques et d’apocalyptiques. Rien ne s’est produit, et c’est là le problème. Nous en sommes restés au stade du fabuleux puis de l’affabulation. Nous avons été broyés par des forces supérieures, que Jean a toutefois pleinement cernées, professionnellement décrites. Mais nous n’avons pas été secondés, et les « nôtres », comme il dit aussi, se sont fait posséder, quand ils n’ont pas disparu. Mitterrand, Kohl, Chirac, de Gaulle même, tous des idiots utiles ? Le monde n’est-il destiné qu’à devenir une suite de supermarchés chinois, de territoires occupés et de déchets médiatiques ? Où sont passés Haushofer et Harrer, McKinder et Buchan ? On ne les a pas revus…

La pire des punitions pour une âme est de vivre en des temps d’iniquité. Nous voyons le monde tanné de la post-histoire nous détruire, détruire la France, l’Europe, la Chrétienté, les peuples et même les hommes et nous ne pouvons rien faire. Et, je le répète, ce qu’il avait de bien avec Parvu, c’est qu’il y avait des « combines ». Et il n’y en a plus ; ou nous n’en sommes pas, exilés sur le sol au milieu des huées. J’ai de moins en moins lu Parvulesco d’autant que son éditeur ne faisait plus son travail. Il vendait du Feng shui et de l’oméga 3.

Je ne lis presque plus, peine même à relire Flaubert, Emerson ou Gracian. J’ai reçu un dernier opus du maître, qui date des années 90 (la chronologie déconstruite est la spécialité maison), au cœur des méphitiques années Clinton, qui ont vu le retour de l’Amérique au premier plan, et que je finis presque par regretter… Il n’y avait pas encore eu l’euro, il n’y avait pas encore le 11 septembre, les deux vraies Fins du post-monde néocon, dont le cœur est à l’extrême gauche et le portefeuille à l’extrême droite. Le Sentier perdu est publié par une excellente petite maison perdue dans le pays basque, Alexipharmaque. Et voici ce qu’il écrit, au nez et à la barbe des gobeurs d’eschatologies diverses et avariées : « quand je tourne mes regards en arrière, toute ma vie m’apparaît comme un long cauchemar éveillé, comme un cheminement sans fin dans les ténèbres et dans l’impuissance d’être et d’agir ».

Dans un autre très beau passage, Jean Parvulesco s’en prend à notre classe politique folle, inepte, destructrice de la France et d’elle-même. Elle aura tout fait, elle, pour complaire au CAC 40 et à l’ONU, aux eurocrates et aux lobbies les plus sombres de notre histoire. Et c’est comme ça. C’est le signe des temps ultimes qui n’en finissent pas : une impuissance épouvantable, une apesanteur lourde.

Je savais Parvulesco très proche de Rohmer, jusqu’au jour où je l’ai vu braver l’opinion publique dans L’Arbre, le maire et la médiathèque du grand Rohmer, œuvre consacrée justement à la liquidation de l’histoire. C’était en 1993, lorsque nous pensâmes que la raclée prises par les socialistes leur suffirait pour longtemps. Elle n’a pas suffi, et nous nous éteignons tous les uns à côté des autres, comme des cierges que les croyants ne viennent pas rallumer. Nous attendons les salves du gaullisme ou du mitterrandisme, nous allons récolter le ségolénisme, qui sera peut-être une mouture marrante. Mais nous avions quand même chaussé des lunettes noires pour mieux jouir des nuits bleues.

Je vois peu Jean depuis des années, il est souvent malade. Moi, comme on sait, j’ai choisi les plates agonies des terres australes soumises aussi au suprême pouvoir, le Poder Adquistivo des classes dominantes de l’ère Clinton. Les manipulateurs de logiciels ont enterré les maîtres des symboles. Si nous pouvions sortir de terre…

En attendant, maître, bonne et même meilleure santé.

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