mardi 29 décembre 2009

L'industrie cinématographique au Japon en 1922 (1/2)



Extrait d'un article de Cinémagazine du 1er décembre 1922, écrit par la critique Robert Florey. Le passé simple et l'orthographe des noms de villes sont d'origine. Seules les véritables fautes d'orthographe ont été modifiées. Témoignage de la vision de la France sur le Japon et sur le journalisme gonzo (c'est-à-dire extrêmement subjectif), près de 50 ans avant Hunter Thompson et Lester Bangs (ce qui n'enlève rien à leurs talents). Il faut tout de même ajouté que l'article tient autant d'une chronique du cinéma japonais que d'une excursion littéraire à la Pierre Loti (et les remarques racistes qui s'ensuivent). N'est pas Victor Segalen ou Paul Claudel qui veut, certes. Nous lisons ici Robert Florey en conversation avec Henry Kotani, un acteur et réalisateur nippon aujourd'hui complètement oublié.

Une image qui n'a totalement rien à voir avec le sujet traité mais qui témoigne du cinéma japonais dans les années 1970. Essayez de trouver des photographies du cinéma nippon des années 1920 (je suis preneur) et on reparlera.

Nous employâmes, le premier jour de notre séjour à Tokio, à flâner dans les curieuses rues nippones, pour trouver d'intéressants coins à tourner. Nous essayâmes de manger du riz avec des baguettes, dans un restaurant nommé L'auberge du chien au ventre blanc, situé près du deuxième pont qui enjambe la rivière Sumida.

Tokio est une ville à peu près moderne, et le trafic de la circulation est réglé à l'américaine avec les derniers perfectionnements. Presque tous les jinrikisha (pousse-pousses) ont été remplacés depuis longtemps par de sublimes tramways électriques, et par des taxis Ford. Si vous désirez traverser la ville en tramway, cela ne vous coûte que 4 sen ; en pousse-pousse vous payez 15 sen... L'électricité a tué le petit commerce des jinrikisha. Paul Ivano tourna un "long-shot" du Kojimachi-ku (la place de la République de Tokio), près duquel s'élève le château impérial. Nous achetâmes des cartes postales au petit kiosque qui se trouve dans les allées sablées qui précèdent le Niju-bashi (entrée principale du palais), et comme nous nous installions dans un petit "chop-suey", dans le but d'envoyer les dites cartes à nos amis d'outre-océan, je vis passer dans la rue un jeune Japonais vêtu à la dernière mode américaine. Ce jeune Japonais me rappela une figure connue sur laquelle je ne pus cependant mettre un nom. D'ailleurs, aux yeux des Blancs, tous les Japonais ne ressemblent-ils pas ? J'étais cependant convaincu que je connaissais ce Japonais, et, sans hésiter, je fis, "psssst !! psssst !!" Le jeune homme se retourna, me regarda en souriant et prononça mon nom... Je me souviens immédiatement du sien : Kotani...

Robert Florey et André Malraux : deux blaireaux s'occupent de ce qu'ils ne devraient pas faire, c'est à dire du cinéma. Comme dirait le Général (de Gaulle), "je me suis toujours fait une certaine idée de la France".

Au même instant, nous prononçâmes la même phrase:
- How small the world is ? Is it not so ?

J'avais connu Kotani chez les Hayakawa, à Los Angeles, quelques mois plus tôt, et j'étais heureux de le retrouver sympathique garçon dans sa capitale. Nous quittâmes le "chop-suey" et, dans l'encombrement des voiture, des jinrikisha, des tramways et des autos, nous marchâmes bras dessus bras dessous le long de Uyeno, en nous dirigeant vers un proche "tea-house".

Attablés tous les trois devant de délicieuses tasses de thé parfumé, qu'une charmante geisha vint nous servir sur table ridiculement petite, nous nous rappelâmes nos bons souvenirs d'Hollywood et de Los Angeles, ainsi que les "partys" avec Hayakawa et les autres amis de la colonie japonaise.

Henry Kotani est un Japonais on ne peut plus américanisé, il occupe maintenant le poste de Président et Général-Manager de la Shochiku Kinema Comany de Tokio, et je profitai de cette occasion pour lui demander tous les renseignements concernant la production cinématographique japonaise dont j'avais besoin pour faire un bon "papier".

Et Robert Fleury fuma... Une certaine idée de la critique française.

Henry Kotani, sans se faire prier, parla :

"Nous avons à Tokio, Yokohama et aux environs, près de 500 studios... Non, ne bondissez pas ainsi ! ... Lorsque je dis "studio", je n'entends pas, par là, un atelier de prise de vues comme vous en avez à Los Angeles. Nos studios sont, comment dirais-je?... des endroits de 60 pieds carrés, entourés d'une simple cloison de planches et sans aucun toit. Comme décors, un "fond" en papier peint ou quelque fois en toile, représentant des paysages japonais.

Robert Florey, un avorton et une femme qu'on voudrait dans son lit.

"Vous connaissez certainement certainement la façon dont jouent les artistes de théâtre japonais ? Eh bien, les films que nous produisons dans nos petits "studios" représentent les mêmes scènes ou presque : un acteur reçoit-il un coup par exemple, il se couvrira alors la face d'un masque grimaçant qui indique la Douleur. Doit-il rire ? un autre masque représentant la "Gaité" remplacera le "Douleur". Il est vrai que chaque film n'est pas une succession de rires et de pleurs, aussi les artistes varient leur jeu en exécutant des danses, des duels, des combats, des scènes d'amour ou des scènes de cérémonies religieuses. En général, tout se passe en "long shot", nous n'utilisons pas les gros plans. Les appareils que nous employons sont, en général, des produits bon marché importé d'Allemagne. Pas d'éclairage artificiel, mais seulement le soleil pour éclairer le "set", c'est tout. Voilà pour la production populaire, celle qui est le plus appréciée par le gros public. Par contre notre classe intellectuelle n'aime pas ce genre de films. Aussi nous possédons une douzaine de studios aménagés d'après le système américain. La Shochiku Kinema Company dont je suis Président est, sans contredit, une des plus importantes des compagnies cinématographiques modernes japonaises, et si vous vous la visitez, vous y sommes dans une demi-heure."

Suite des aventures de Robert Florey au Japon.

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