dimanche 13 décembre 2009

La damnation des stars par Nicolas Bonnal



Extrait du livre La Damnation des stars de Nicolas Bonnal (1996).

Au lit avec Marilyn.

Toutes les cultures ont eu leur héros, leurs gloires mythologiques : les Celtes ont vénéré Cuchulainn, les Romains Mucius Scaevola, les Grecs Héraklès. Les Chinois ont célébré leurs empereurs légendaires, Fo Hi par exemple, qui dessina les hexagrammes du Yi King, les Hondous ont adorés Krishna et les différents avatars de Vishnu. Cycle de réincarnations promis à une grande célébration dans notre société... A notre époque, caractérisée par un délcin drastique des mythologies et de la spiritualité mais marquée aussi par une médiatisation planétaire, les stars ont pris la relève et sont devenues les dieux maudits, les héros damnés de la nouvelle religion universelle.

Orgie masquée dans La Marche nuptiale d'Erich von Stroheim en 1928.

Elles ont tout pour elles ; les stars représentent ce qu'une civilisation matérielle peut offrir de mieux au citoyen mué en spectateur passif ; la jeunesse, la beauté, la richesse ; la célébrité, la gloire ; la séduction ; la force, la bravoure, l'insolence ; la révolte, la provocation, l'humour ; le tragique enfin. La star est le phénomène, "l'apparition" par excellence qui remplit toutes sortes de fonctions dans notre société, toutes les fonctions qui ont trait à nos fantasmes, à nos désirs, à notre jouissance, à nos interdits. La star est ce qui transcende notre existence, qui la vit pleinement, et nous aide à travers à exister par procuration. Elle est ce qui nous permet de mieux vivre une existence souvent décevante et frustrante.

Pour autant, la star est-elle heureuse ? La star représente-t-elle le bonheur ? Encore faudrait-il que ce dernier fût le but ultime de l'existence humaine. Or seuls les Anglais, comme disait Nietzsche, recherchent le bonheur. Non : la star n'est pas là pour représenter le bonheur ; un travail honorable, une famille honnête, un confort correct suffisent à notre bonheur. La star nous offre autre chose, nous convie à autre chose.

1965 : Bob Dylan en roue libre et en pleine crise de mépris aigu.

Dans son essai sur La Fin de l'Histoire et le dernier homme, le philosophe américain Fukuyama écrit que la mégalothymie, "l'ensemble des pulsions violentes et fortes du caractère", est aujourd'hui interdite en politique. Elles coûtent, elles et les grands hommes, les dictateurs qui les portent, trop cher à l'humanité devenue éprise de confort matériel et de rationalité. Mais la mégalothymie est permise et même encouragée dans d'autres domaines : les affaires, le sport et l'aventure, pour autant que cette dernière reste impossible sur notre globe mille fois arpenté. Elle est surtout autorisée, cette mégalothymie, dans le domaine du spectacle, depuis que ce dernier, grâce à la technologie de la communication, est devenu planétaire, universel. La mégalothymie de la star est devenue sa marque de reconnaissance. James Dean a le droit de se révolter, si les adolescents doivent se contenter de l'école et de l'université. Marilyn Monroe ou Sharon Tate ont le droit de séduire l'humanité toute entière, s'il est mal perçu que "la femme d'à côté" plaise trop à son voisin. Rambo-Stallone ou Schwarzenegger-Terminator ont le droit d'exécuter leurs "lointains", si je n'ai plus le droit de tuer mon prochain, même en temps de guerre puisque les guerres se doivent d'être moins meurtrières.

La star est là pour nous aider à surmonter nos déception. Pour nous toucher du doigt le plaisir interdit, la joie de n'être pas comme les autres, soit l'homme sans qualité annoncé par Musil, soit le dernier homme promis par Nietzsche. La star aide toutes les madame Bovary du monde, tous les Léon Dupuis à rêver et surmonter leur amertume. Ses malheurs font pleurer les midinettes tendres, se frotter les mains des concierges jalouses.

Jim Morrison arrêté sur scène à New Haven le 9 décembre 1967. Naissance de la tragédie grecque pop.

Car, comme Faust ou Héraklès, la star doit payer un prix. Un prix fort à la mesure de ses fautes, de ses débordements. Notre civilisation reste judéo-chrétienne, obsédée par l'idée de péché. Nous refusons l'argent et son règne insolent, nous jalousons les réussites trop brillantes, nous restons traumatisés par le sida, qui sanctionne une liberté chèrement acquise. La plupart des stars paient un prix fort à leur mandataire. Comme dans les James Bond, où le méchant finit toujours par perdre. Car le mal incarné par le méchant représente le ça freudien ; l'ensemble des pulsions mégalothymiques qui me pousserait à la satisfaction effrénée de mes plaisirs. Le méchant doit être arrêté parce qu'il représente ce que je ne peux obtenir. Le surmoi bondien, le surmoi de tous les "bons" des films grand public est là pour empêcher l'impossible de se produire : cet impossible qui justement serait la satisfaction de mes fantasmes.

Marlon Brando, lecteur de T.S. Eliot dans Apocalypse Now. Voici venu le temps des "hommes creux" et de la dégénérescence spirituelle du monde moderne.

Et si le méchant perd dans le film, la star perd de même dans la vie. La star ne gagne pas, la star est maudite. Il y a une damnation des stars à la hauteur des plaisirs souvent vains qu'elle glane dans l'existence. Cette damnation est intimement liée aux différentes dimensions des stars. Pour avoir voulu vendre au diable son âme, en échange de la beauté, de la gloire et de la Fortune la star se damne, et s'adonne aux souffrances d'un parcours chaotique et ténébreux que les médias nous rappelle sans cesse.

Les stars sont avant tout des rebelles à l'ordre social, et elles ont largement participé à l'évolution, à la subversion des mœurs et des valeurs de notre société. Souvent d'ailleurs au prix de leur vie. Les stars sont ensuite des personnages fragiles, ne serait-ce que parce qu'elles jouent des rôles dangereux, des rôles qui les engagent pour toute leur existence, et les bouleversent à jamais.

La main de Robert de Niro dans Angel Heart d'Alan Parker.

Riches et célèbres, les stars sont par nature des créatures tentés par les spiritualités parallèles, le new age, et par le diable. Elles n'en sont pas forcément les serviteurs, bien plutôt les victimes, les victimes de ce Louis Cyphre qui dans Angel Heart vient demander à Johnny Favorite - alias Harry Angel - le prix à payer : son âme. La ve des stars a donc par bien des aspects une dimension tragique ; suicides, meurtres mystérieux, maladies incurables, malaise et mal de vivre sont la dîme à acquitter pour nos grands inconnus. Etil y a un prix final à payer, peut-être le pire de tous ; celui de l'entropie, du poids et de l'usure de la vie, de la vieillesse, même. La star meurt petit feu, lorsqu'elle n'est pas frappée brutalement par le sort. Plus longue ou plus dure soit la chute suivant les cas, tel est de toutes façons le lot de la star. Mais les autres, celles à qui il n'arrive rien : sont-elles justement susceptibles d'intéresser le public plus friand que jamais d'histoires œdipiennes et maudites, qui consacrent justement les stars au-dessus du reste des vivants ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

cet article m'évoque notre dernière conversation! un rapport avec johnny? les stars ne touchent pas tout le monde...alors quoi d'autre sinon "les relations humaines" pour toute transcendance..?