mercredi 30 décembre 2009

L'industrie cinématographique au Japon en 1922 (2/2)



Suite et fin des pérégrinations de Robert Florey au Japon, publiées le 1er décembre 1922 dans Cinémagazine (première partie ici).

Tokyo dans les années 1920.

D'un commun accord, nous acceptâmes Ivano et moi, et nous trouvâmes un peu plus tard au Shochiku Studio dont l'entrée principale me rappela immédiatement celle des Metro Studios à Hollywood. Coquets jardinets et pelouses bien entretenues (les Japonais sont des jardiniers experts) précèdent la grande entrée. Tous les bureaux sont meublés à l'américaine. Une téléphoniste assise devant un bureau distributeur, reçoit les visiteurs, et annonce leur présence, par téléphone, au directeur du département désiré. Une large avenue empierrée traverse perpendiculairement la cour centrale du studio. Quatre grands studios de verre composent le Shochiku Studio. Sur les terrains en plein air, des décors représentant des maisons et des rues européennes ou japonaises, s'élèvent. Le matériel employé est tout à fait moderne : éclairage électrique au "Cooper-Hewitt", appareils de prise de vues "Bell and Howell", "Debrie", "Pathé" et "Erneman". Les stars du studio sont habillées soit à l'européenne soit à la mode ancienne japonaise. Cependant, ils nu'sent pas de masques et indiquent leurs divers états d'âme par des jeux de physionomie comme nos artistes. Ils emploient également un maquillage semblable à celui des artistes de Los Angeles, ce qui m'a surpris passablement.

Une production Shochiku...

- Les films que nous produisons - m'expliqua Kotani - sont tout à fait modernes, et leurs scénarios se basent généralement sur des romans héroïques, des histoires d'amour ou des aventures japonaises. Nous produisons également des films d'après les œuvres d'écrivains modernes, ainsi que des comédies ou des films comiques. Notre principale spécialité est le drame.

Henry Kotani nous fit ensuite visiter les ateliers, les départements des scénarios, les laboratoires, les ateliers des accessoiristes, qui peuvent rivaliser avec les meilleurs des studios américains. La plupart des cameramen sont des étrangers, deux sont américains, un allemand et un autre anglais.

Notre aimable cicerone nous donna ensuite une lettre d'introduction pour la Tokio International Film Co. dont son ami Harry Ushiyama est l'un des managers. Les sutdios de l'International Film sont à peu près semblables à ceux de la Shochiku. Nous eûmes la chance de voir tourner dans plusieurs scènes les stars favoris du public japonais dont Miss Chitose Hayashi qui devint artiste de cinéma après avoir travaillé à l'Université Impériale de Tokio, Koichi Katsuyari connu à l'écran sous le nom de Koichi Seki, qui est le jeune premier de la Tokio International, Miss Harue Koike, autre star qui est la Mary Pickford japonaise, Miss Shotaro Hanayagi, fameuse vamp, etc...

Shotaro Hanayagi dans Contes des chrysanthèmes tardifs de Kenji Mizoguchi en 1939.

Nous passâmes notre première soirée dans un des cinémas de notre ami Tanaka, qui donnait justement Mr Fix-It de Douglas Fairbanks et Tanaka nous confia que le public japonais appréciait de plus en plus les productions étrangères, ce qui ne tarderait pas à amener un jour la mort du cinéma japonais...

- Je fais plus de recette avec Tom Mix ou Pina Menichelli qu'avec un film interprété par Koichi Seki et Harue Koike nous confia-t-il.

"Nous passons également beaucoup de films Gaumont ou des productions italiennes ou allemandes ; mais les spectateurs aiment particulièrement les films américains. Sessue Hayakawa ne jouit pas ici d'une grande popularité car il a interprété plusieurs fois des films montrant le peuple japonais sous un mauvais côté. Ici on ne lui a pas pardonné Forfaiture [film de Cecil B. de Mille sorti en 1915] et lors de son récent voyage on lui a même reproché de tourner ce film... Malgré tout, le public lui a fait, ainsi qu'à Tsuru Aoki, un très chaleureux accueil."

L'acteur Sessue Hayakawa et la sublime Anna May Wong.

Le prix des places dans les cinémas est très différent. Vous payez quelquefois plus cher, pour voir une demi-heure de spectacle dans un petit cinéma que pour voir cinq ou six heures de spectacle dans un grand cinéma populaire... C'est très curieux.

Il existe à Tokio une centaine de journaux magazines traitant dxe l'industrie cinématographique, mais presque tous sont remplis par des annonces de publicité américaine.

Le lendemain, nous visitâmes une de ces installations en plein air dont nous avait parlé notre ami Kotani.

Fukusuke Nakamura.

Nous fûmes très déçus par le spectacle que nous vîmes. Le film était interprété par l'étoile Fukusuke Nakamura, et elle était la seule de la troupe qui n'usait pas du système japonais. Son partenaire changeait toujours de masque, et il était coiffé d'un chapeau melon ridicule (je n'ai jamais compris pourquoi). Un gigantesque samouraï le poursuivait partout. On nous expliqua qu'il s'agissait d'un film comique en "deux réels" [deux bobines]...

Huit jours plus tard, nous quittions Tokio et nous nous embarquions pour Honolulu... Dans cette île charmante, il n'y a pas de studio, c'est pourquoi je ne vous parlerai pas aujourd'hui des Îles Hawaï.

mardi 29 décembre 2009

L'industrie cinématographique au Japon en 1922 (1/2)



Extrait d'un article de Cinémagazine du 1er décembre 1922, écrit par la critique Robert Florey. Le passé simple et l'orthographe des noms de villes sont d'origine. Seules les véritables fautes d'orthographe ont été modifiées. Témoignage de la vision de la France sur le Japon et sur le journalisme gonzo (c'est-à-dire extrêmement subjectif), près de 50 ans avant Hunter Thompson et Lester Bangs (ce qui n'enlève rien à leurs talents). Il faut tout de même ajouté que l'article tient autant d'une chronique du cinéma japonais que d'une excursion littéraire à la Pierre Loti (et les remarques racistes qui s'ensuivent). N'est pas Victor Segalen ou Paul Claudel qui veut, certes. Nous lisons ici Robert Florey en conversation avec Henry Kotani, un acteur et réalisateur nippon aujourd'hui complètement oublié.

Une image qui n'a totalement rien à voir avec le sujet traité mais qui témoigne du cinéma japonais dans les années 1970. Essayez de trouver des photographies du cinéma nippon des années 1920 (je suis preneur) et on reparlera.

Nous employâmes, le premier jour de notre séjour à Tokio, à flâner dans les curieuses rues nippones, pour trouver d'intéressants coins à tourner. Nous essayâmes de manger du riz avec des baguettes, dans un restaurant nommé L'auberge du chien au ventre blanc, situé près du deuxième pont qui enjambe la rivière Sumida.

Tokio est une ville à peu près moderne, et le trafic de la circulation est réglé à l'américaine avec les derniers perfectionnements. Presque tous les jinrikisha (pousse-pousses) ont été remplacés depuis longtemps par de sublimes tramways électriques, et par des taxis Ford. Si vous désirez traverser la ville en tramway, cela ne vous coûte que 4 sen ; en pousse-pousse vous payez 15 sen... L'électricité a tué le petit commerce des jinrikisha. Paul Ivano tourna un "long-shot" du Kojimachi-ku (la place de la République de Tokio), près duquel s'élève le château impérial. Nous achetâmes des cartes postales au petit kiosque qui se trouve dans les allées sablées qui précèdent le Niju-bashi (entrée principale du palais), et comme nous nous installions dans un petit "chop-suey", dans le but d'envoyer les dites cartes à nos amis d'outre-océan, je vis passer dans la rue un jeune Japonais vêtu à la dernière mode américaine. Ce jeune Japonais me rappela une figure connue sur laquelle je ne pus cependant mettre un nom. D'ailleurs, aux yeux des Blancs, tous les Japonais ne ressemblent-ils pas ? J'étais cependant convaincu que je connaissais ce Japonais, et, sans hésiter, je fis, "psssst !! psssst !!" Le jeune homme se retourna, me regarda en souriant et prononça mon nom... Je me souviens immédiatement du sien : Kotani...

Robert Florey et André Malraux : deux blaireaux s'occupent de ce qu'ils ne devraient pas faire, c'est à dire du cinéma. Comme dirait le Général (de Gaulle), "je me suis toujours fait une certaine idée de la France".

Au même instant, nous prononçâmes la même phrase:
- How small the world is ? Is it not so ?

J'avais connu Kotani chez les Hayakawa, à Los Angeles, quelques mois plus tôt, et j'étais heureux de le retrouver sympathique garçon dans sa capitale. Nous quittâmes le "chop-suey" et, dans l'encombrement des voiture, des jinrikisha, des tramways et des autos, nous marchâmes bras dessus bras dessous le long de Uyeno, en nous dirigeant vers un proche "tea-house".

Attablés tous les trois devant de délicieuses tasses de thé parfumé, qu'une charmante geisha vint nous servir sur table ridiculement petite, nous nous rappelâmes nos bons souvenirs d'Hollywood et de Los Angeles, ainsi que les "partys" avec Hayakawa et les autres amis de la colonie japonaise.

Henry Kotani est un Japonais on ne peut plus américanisé, il occupe maintenant le poste de Président et Général-Manager de la Shochiku Kinema Comany de Tokio, et je profitai de cette occasion pour lui demander tous les renseignements concernant la production cinématographique japonaise dont j'avais besoin pour faire un bon "papier".

Et Robert Fleury fuma... Une certaine idée de la critique française.

Henry Kotani, sans se faire prier, parla :

"Nous avons à Tokio, Yokohama et aux environs, près de 500 studios... Non, ne bondissez pas ainsi ! ... Lorsque je dis "studio", je n'entends pas, par là, un atelier de prise de vues comme vous en avez à Los Angeles. Nos studios sont, comment dirais-je?... des endroits de 60 pieds carrés, entourés d'une simple cloison de planches et sans aucun toit. Comme décors, un "fond" en papier peint ou quelque fois en toile, représentant des paysages japonais.

Robert Florey, un avorton et une femme qu'on voudrait dans son lit.

"Vous connaissez certainement certainement la façon dont jouent les artistes de théâtre japonais ? Eh bien, les films que nous produisons dans nos petits "studios" représentent les mêmes scènes ou presque : un acteur reçoit-il un coup par exemple, il se couvrira alors la face d'un masque grimaçant qui indique la Douleur. Doit-il rire ? un autre masque représentant la "Gaité" remplacera le "Douleur". Il est vrai que chaque film n'est pas une succession de rires et de pleurs, aussi les artistes varient leur jeu en exécutant des danses, des duels, des combats, des scènes d'amour ou des scènes de cérémonies religieuses. En général, tout se passe en "long shot", nous n'utilisons pas les gros plans. Les appareils que nous employons sont, en général, des produits bon marché importé d'Allemagne. Pas d'éclairage artificiel, mais seulement le soleil pour éclairer le "set", c'est tout. Voilà pour la production populaire, celle qui est le plus appréciée par le gros public. Par contre notre classe intellectuelle n'aime pas ce genre de films. Aussi nous possédons une douzaine de studios aménagés d'après le système américain. La Shochiku Kinema Company dont je suis Président est, sans contredit, une des plus importantes des compagnies cinématographiques modernes japonaises, et si vous vous la visitez, vous y sommes dans une demi-heure."

Suite des aventures de Robert Florey au Japon.

dimanche 20 décembre 2009

Susumu Hani - Nanami, The Inferno of First Love (1968)


Susumu Hani est une légende de ce qu'on appelle la nouvelle vague nippone. Sa carrière est étonnante : dans les années 1950, il commence à réaliser des documentaires de commande pour l'Éducation nationale japonaise. Les Enfants de la classe, produit en 1955, est considéré comme un tournant du documentaire. Sasumu Hani n'essaie pas de faire "jouer" les élèves d'une classe mais capte leur spontanéité en se contentant de filmer ce qui se passe dans la classe. Cette méthode est la base du documentaire-vérité, par la suite expérimenté par l'américain Robert Frank dans Cocksucker Blues en 1972.

Dès ses premières œuvres, Susumu Hani montre son intérêt pour l'enfance et une certaine idée de l'innocence. Pour lui, la préservation de l'innocence des enfants et des adolescents ne peut être préservé que par une éducation complètement libre, à l'opposé de la tradition pédagogique japonaise. En 1963, dans le long-métrage Les Mauvais Garçons, Hani raconte les aventures de délinquants juvéniles regroupés dans un centre d'éducation surveillée.


En 1968, Susumu Hani et Shuji Terayama écrivent le scénario de Hatsukoi : Jigoku-hen, soit Nanami, the Inferno of the first love ou Premier amour, version infernale. Shuji Terayama, encore peu connu, réalisera par la suite le provocateur et maintes fois censuré Emperor Tomato Ketchup (1971). Hani et Terayama s'occupent ici de la perte de l'innocence par le sexe et de l'industrie souterraine de l'érotisme et de la pornographie au Japon. Shun est un adolescent amoureux de Nanami, guère plus âgée que lui, mais qui gagne sa vie en posant pour des photos érotiques. Hani n'hésite pas ici à montrer des belles actrices déshabillés et à suggérer des thèmes graves comme le viol, l'inceste, la prostitution, le sadomasochisme et la pédophilie. La provocation des thèmes abordés est soutenu par une mise en scène libre parfois surréaliste.


Dans un article publié en 1979 dans Cinéma Aujourd'hui, Max Tessier explique les thèmes du film : "la puberté, le conflit psychique avec les parents (surtout la mère), les premières expériences sexuelles, l'inhibition, l'érotisme et le rêve sous des formes multiples, para-freudiennes. Mais, au-delà du titre tant soit peu accrocheur, c'est toujours le thème de "l'amour pur" qui revient ici, entre Shun (le garçon) et Nanami (la fille), comme dans de multiples films sur la jeunesse. La différence réside dans le fait que le couple essaie (vainement) de réaliser physiquement cet amour ; alors que "l'amour pur" des films progressistes antérieurs était traditionnellement platonique. A cheval entre une réalité onirique et un rêve réel, Nanami est une plongée dans le psychisme des adolescents meurtris, pour qui le sexe ne peut plus être une chose "naturelle", et apparaît souvent emblématiquement : des enfants nus et masqués peuplent des séquences imaginaires, et Shun poursuit une petite fille dans un cimetière, si bien qu'il est accusé d'être un "obsédé sexuel", et enfermé dans un hôpital psychiatrique."


En 1968, il est plaisant de constater que le cinéma japonais était le plus expérimental, le plus audacieux et le plus libre. On se souvient des films Onibaba de Kaneto Shindo et La Femme des Dunes de Hiroshi Teshigahara, tous deux sortis en 1964. On se souvient également d'Été japonais : double suicide de Nagisa Oshima et des Anges Violés de Koji Wakamatsu, en 1967. Définitivement une autre idée du cinéma.



Ci-dessus, un extrait de la scène de séance-photo érotique : entre réalité et fantasme, le tout exprimé par une photographie sublime.

samedi 19 décembre 2009

Sex Pistols au London Weekend Show en 1976

Le 28 novembre 1976, le programme de télévision britannique London Weekend Show consacre son émission à l'émergence de la scène punk. L'émission contient des entretiens avec les Sex Pistols, les Clash, Siouxsie Sioux et Ron Watts, organisateur de concerts au 100 Club d'Oxford Street.

sex pistols london weekend show

La fin d'année 1976 fut pour le moins mouvementée pou les Sex Pistols. Le 9 octobre, le groupe signe un contrat de £40 000 avec EMI. Le 26 novembre, il publie le 45-tours "Anarchy in the UK". Le 1er décembre, les Sex Pistols créent le scandale en proférant des insanités dans l'émission de télévision familiale de Bill Grundy. Suite à ce tollé, la quasi totalité des concerts de l'Anarchy in The UK Tour est annulée, même à Londres. Le 6 janvier 1977, EMI rompt son contrat avec les Sex Pistols. Deux jours auparavant, à l'aéroport de Heathrow, les Sex Pistols éméchés se livrèrent à des actes dégradants. Le guitariste Steve Jones aurait même vomi sur des femmes âgées dans la salle d'embarquement. Une incivilité de trop pour EMI.

Ci-dessous, un florilège des séquences des Sex Pistols dans l'émission London Weekend Show.



Dates de l'Anarchy in the UK Tour
6 décembre : Leeds (avec Clash et The Heartbreakers)
9 décembre : Manchester (avec Clash, The Heartbreakers et The Buzzcocks)
10 décembre : Preston (avec Clash, The Heartbreakers et The Buzzcocks)
19 décembre : Manchester (avec Clash, The Heartbreakers et The Buzzcocks)
21 décembre : Plymouth (avec Clash, The Heartbreakers et The Buzzcocks)
22 décembre : Plymouth (avec Clash, The Heartbreakers et The Buzzcocks)

Johnnie To - Vengeance (2009)


Vengeance ou : quand Johnnie (To) rencontre Johnny (Hallyday), chanteur et acteur belge franco-suisse ex-quasi monégasque. Johnny, quoi. Dans ce film sorti en grandes pompes au Festival de Cannes, Johnny Hallyday reprend un rôle initialement prévu pour Alain Delon, qui a décliné la proposition après la lecture du scénario. Il a pourtant accepté de jouer dans Astérix aux Jeux Olympiques. Pour le coup, il n’avait pas dû lire le scénario. Étrange personnage que Delon.



Le scénario est simple : héros vieilli et malade, Costello (même nom que le héros du Samouraï de Jean-Pierre Melville, interprété par Alain Delon à l’époque…) veut venger le massacre de la famille de sa fille à Hong-Kong. Pour parvenir à ses fins, il engage trois tueurs professionnels rencontrés par hasard dans son hôtel lors de l’exécution d’un contrat. La vengeance commence.


L'ambiance se veut ici familiale et bon enfant, comme dans bon nombre de films de Johnnie To (les fameux "potes gangsters"...). Sur un scénario écrit par l'habituel Wai Ka Fai, To tourne avec ses acteurs habituels : Anthony Wong, Lam Ka-tung, Lam Suet et Simon Yam. La première moitié du film est très classique avec un scénario bien ficelé mais prévisible. C’est justement quand on se dit que tout est trop prévisible que le film prend toute sa dimension et son originalité. On assiste alors à une scène de fusillade haut-de-gamme et novatrice dans une déchetterie aux abords de Macao (Johnnie To réinvente au moins une fois par film les fusillades, on se demande où il va chercher tout ça), un revirement complètement mystique de Johnny Hallyday et une question éthique pour gangsters : « qu’est-ce que la vengeance ? »


Au final, Vengeance est un bon polar, avec pas mal de temps morts et un rythme assez lent mais une bonne ambiance. Les dialogues sont réduits au strict minimum, Johnny Hallyday n’a presque aucun dialogue. To préfère faire parler un gros plan sur un flingue ou sur le regard d'un Johnny. monolithique. On retrouve les scènes habituelles chez To : la cuisine, la bouffe, la préparation des flingues, les défis d’adresse au tir entre gangsters, les fusillades en plein air ou dans des immeubles exigus, les opérations chirurgicales clandestines et les planques en milieu rural. Le tout emballé par une maîtrise de la mise scène qui n’étonne plus personne (par habitude de l’excellence) mais qui n’est pas à la portée du premier chien coiffé. Johnnie To est décidément un très grand réalisateur.


Bombance, duel d'adresse et taquinerie entre tueurs à gages : une scène 100% Johnnie To.

mercredi 16 décembre 2009

Saint-Amant, l'alcool et les Anglais



En deux sonnets vindicatifs, Saint-Amant (1594-19661), poète remarquable, auteur de L'Albion, caprice héroï-comique, montre son mépris atavique pour l'Angleterre. Le pauvre Saint-Amant, bon vivant devant l'Éternel, a en effet connu ce que la jeunesse d'aujourd'hui connaît trop bien : une sorte de coma éthylique dans un troquet qui lui valut de se faire voler ses écus. Faut-il organiser une lecture obligatoire de ces deux sonnets à nos lycéens ivres et désœuvrés pour les "sensibiliser" (ce mot de printemps et de deux saisons !) aux dangers de l'alcool en pays étranger ? Ce serait toujours plus intéressant et stimulant que la prose lénifiante d'un Guy Môquet.

Le vol nocturne

La nuit derniere, ayant la pance pleine
Du bon piot que j'ay tousjours chery,
Sur mon gousset on a fait la soury,
Le desenflant de sa gloire mondaine.

Cette action cauteleuse et vilaine
De mon tresor le fonds jaune a tary,
Et le beau lustre en est si desfleury
Que mon pauvre oeil le reconnoist à peine.

Il est bien vray que j'en tenois un peu ;
Et que, pour m'estre eschauffé sur le jeu,
Je suis au bout de ma philosophie.

Dieux, qui voyez qu'on m'excroque en dormant,
Auquel de vous faudra-t-il qu'on se fie,
Puis que Bacchus a trahy Saint-Amant ?

Autre sonnet sur le mesme vol

Je n'aymois gueres l'Angleterre,
Mais je l'ayme aujourd'hui bien moins,
Et voudrois voir en tous ses coins
Luire le flambeau de la guerre.

C'est un vray pays à catherre ;
Le ciel n'y pleut que sur des foins,
Et les plus agreables groins
Y rottent à l'ombre du verre.

Ce n'est pas que je sois fasché
D'y voir le beau sexe entaché
Du vice de l'ivrongnerie ;

Mais c'est que j'enrage en mon cœur
D'y trouver ma bourse tarie
Pour avoir trop pris de liqueur.

L'état du monde en 3 sonnets de Saint-Amant



Sonnet

Fagotté plaisamment comme un vrai Simonet,
Pied chaussé, l'autre nud, main au nez, l'autre en poche,
J'arpente un vieux grenier, portant sur ma caboche
Un coffin de Hollande en guise de bonnet.

Là, faisant quelquefois le saut du sansonnet,
En dandinant du cu comme un sonneur de cloche,
Je m'esgueule de rire, escrivant d'une broche
En mots de Pathelin ce grotesque sonnet.

Mes esprits, à cheval sur des cocquesigrues,
Ainsi que papillons s'envollent dans les nues,
Y cherchant quelque fin qu'on ne puisse trouver.

Nargue : c'est trop resver, c'est trop ronger ses ongles ;
Si quelqu'un sçait la ryme, il peut bien l'achever.

Le Paresseux

Accablé de paresse et de mélancholie,
Je resve dans un lict où je suis fagoté
Comme un lievre sans os qui dort dans un pasté,
Ou comme un Dom-Quichot en sa morne folie.

Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin, ny de sa royauté,
je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon ame en langueur est comme ensevelie.

Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je croy que les biens me viendront en dormant,
Puis que je voy des-jà s'en enfler ma bedaine,

Et hay tant le travail, que, les yeux entr'ouvers,
Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine
Ay-je pû me resoudre à t'escrire ces vers.

Les goinfres

Coucher trois dans un drap, sans feu ny sans chandelle,
Au, profond de l'hyver, dans la sale aux fagots,
Où les chats, ruminans le langage des Gots,
Nous esclairent sans cesse en roulant la prunelle ;

Hausser nostre chevet avec une escabelle,
Estre deux ans à jeun comme les escargots,
resver en grimassant ainsi que les magots
Qui, baillans au soleil, se grattent soubs l'aisselle ;

Mettre au lieu de bonnet la coeffe d'un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d'un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;

Puis souffrir cent brocards d'un vieux hoste irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre despense,
c'est ce qu'engendre enfin la prodigalité.

dimanche 13 décembre 2009

La damnation des stars par Nicolas Bonnal



Extrait du livre La Damnation des stars de Nicolas Bonnal (1996).

Au lit avec Marilyn.

Toutes les cultures ont eu leur héros, leurs gloires mythologiques : les Celtes ont vénéré Cuchulainn, les Romains Mucius Scaevola, les Grecs Héraklès. Les Chinois ont célébré leurs empereurs légendaires, Fo Hi par exemple, qui dessina les hexagrammes du Yi King, les Hondous ont adorés Krishna et les différents avatars de Vishnu. Cycle de réincarnations promis à une grande célébration dans notre société... A notre époque, caractérisée par un délcin drastique des mythologies et de la spiritualité mais marquée aussi par une médiatisation planétaire, les stars ont pris la relève et sont devenues les dieux maudits, les héros damnés de la nouvelle religion universelle.

Orgie masquée dans La Marche nuptiale d'Erich von Stroheim en 1928.

Elles ont tout pour elles ; les stars représentent ce qu'une civilisation matérielle peut offrir de mieux au citoyen mué en spectateur passif ; la jeunesse, la beauté, la richesse ; la célébrité, la gloire ; la séduction ; la force, la bravoure, l'insolence ; la révolte, la provocation, l'humour ; le tragique enfin. La star est le phénomène, "l'apparition" par excellence qui remplit toutes sortes de fonctions dans notre société, toutes les fonctions qui ont trait à nos fantasmes, à nos désirs, à notre jouissance, à nos interdits. La star est ce qui transcende notre existence, qui la vit pleinement, et nous aide à travers à exister par procuration. Elle est ce qui nous permet de mieux vivre une existence souvent décevante et frustrante.

Pour autant, la star est-elle heureuse ? La star représente-t-elle le bonheur ? Encore faudrait-il que ce dernier fût le but ultime de l'existence humaine. Or seuls les Anglais, comme disait Nietzsche, recherchent le bonheur. Non : la star n'est pas là pour représenter le bonheur ; un travail honorable, une famille honnête, un confort correct suffisent à notre bonheur. La star nous offre autre chose, nous convie à autre chose.

1965 : Bob Dylan en roue libre et en pleine crise de mépris aigu.

Dans son essai sur La Fin de l'Histoire et le dernier homme, le philosophe américain Fukuyama écrit que la mégalothymie, "l'ensemble des pulsions violentes et fortes du caractère", est aujourd'hui interdite en politique. Elles coûtent, elles et les grands hommes, les dictateurs qui les portent, trop cher à l'humanité devenue éprise de confort matériel et de rationalité. Mais la mégalothymie est permise et même encouragée dans d'autres domaines : les affaires, le sport et l'aventure, pour autant que cette dernière reste impossible sur notre globe mille fois arpenté. Elle est surtout autorisée, cette mégalothymie, dans le domaine du spectacle, depuis que ce dernier, grâce à la technologie de la communication, est devenu planétaire, universel. La mégalothymie de la star est devenue sa marque de reconnaissance. James Dean a le droit de se révolter, si les adolescents doivent se contenter de l'école et de l'université. Marilyn Monroe ou Sharon Tate ont le droit de séduire l'humanité toute entière, s'il est mal perçu que "la femme d'à côté" plaise trop à son voisin. Rambo-Stallone ou Schwarzenegger-Terminator ont le droit d'exécuter leurs "lointains", si je n'ai plus le droit de tuer mon prochain, même en temps de guerre puisque les guerres se doivent d'être moins meurtrières.

La star est là pour nous aider à surmonter nos déception. Pour nous toucher du doigt le plaisir interdit, la joie de n'être pas comme les autres, soit l'homme sans qualité annoncé par Musil, soit le dernier homme promis par Nietzsche. La star aide toutes les madame Bovary du monde, tous les Léon Dupuis à rêver et surmonter leur amertume. Ses malheurs font pleurer les midinettes tendres, se frotter les mains des concierges jalouses.

Jim Morrison arrêté sur scène à New Haven le 9 décembre 1967. Naissance de la tragédie grecque pop.

Car, comme Faust ou Héraklès, la star doit payer un prix. Un prix fort à la mesure de ses fautes, de ses débordements. Notre civilisation reste judéo-chrétienne, obsédée par l'idée de péché. Nous refusons l'argent et son règne insolent, nous jalousons les réussites trop brillantes, nous restons traumatisés par le sida, qui sanctionne une liberté chèrement acquise. La plupart des stars paient un prix fort à leur mandataire. Comme dans les James Bond, où le méchant finit toujours par perdre. Car le mal incarné par le méchant représente le ça freudien ; l'ensemble des pulsions mégalothymiques qui me pousserait à la satisfaction effrénée de mes plaisirs. Le méchant doit être arrêté parce qu'il représente ce que je ne peux obtenir. Le surmoi bondien, le surmoi de tous les "bons" des films grand public est là pour empêcher l'impossible de se produire : cet impossible qui justement serait la satisfaction de mes fantasmes.

Marlon Brando, lecteur de T.S. Eliot dans Apocalypse Now. Voici venu le temps des "hommes creux" et de la dégénérescence spirituelle du monde moderne.

Et si le méchant perd dans le film, la star perd de même dans la vie. La star ne gagne pas, la star est maudite. Il y a une damnation des stars à la hauteur des plaisirs souvent vains qu'elle glane dans l'existence. Cette damnation est intimement liée aux différentes dimensions des stars. Pour avoir voulu vendre au diable son âme, en échange de la beauté, de la gloire et de la Fortune la star se damne, et s'adonne aux souffrances d'un parcours chaotique et ténébreux que les médias nous rappelle sans cesse.

Les stars sont avant tout des rebelles à l'ordre social, et elles ont largement participé à l'évolution, à la subversion des mœurs et des valeurs de notre société. Souvent d'ailleurs au prix de leur vie. Les stars sont ensuite des personnages fragiles, ne serait-ce que parce qu'elles jouent des rôles dangereux, des rôles qui les engagent pour toute leur existence, et les bouleversent à jamais.

La main de Robert de Niro dans Angel Heart d'Alan Parker.

Riches et célèbres, les stars sont par nature des créatures tentés par les spiritualités parallèles, le new age, et par le diable. Elles n'en sont pas forcément les serviteurs, bien plutôt les victimes, les victimes de ce Louis Cyphre qui dans Angel Heart vient demander à Johnny Favorite - alias Harry Angel - le prix à payer : son âme. La ve des stars a donc par bien des aspects une dimension tragique ; suicides, meurtres mystérieux, maladies incurables, malaise et mal de vivre sont la dîme à acquitter pour nos grands inconnus. Etil y a un prix final à payer, peut-être le pire de tous ; celui de l'entropie, du poids et de l'usure de la vie, de la vieillesse, même. La star meurt petit feu, lorsqu'elle n'est pas frappée brutalement par le sort. Plus longue ou plus dure soit la chute suivant les cas, tel est de toutes façons le lot de la star. Mais les autres, celles à qui il n'arrive rien : sont-elles justement susceptibles d'intéresser le public plus friand que jamais d'histoires œdipiennes et maudites, qui consacrent justement les stars au-dessus du reste des vivants ?

samedi 5 décembre 2009

Génie de Mylène Jampanoï

Génie de Mylène Jampanoï, jugée coupable au Tribunal de la Beauté. Plus belle encore que Mary Elizabeth Winstead et Ava Gardner. Quand on trouve une femme plus belle qu'Ava Gardner, Patrick Besson peste et devient tout rouge. Ça lui rappelle au moins ses années communistes et ses virées avec Edward Limonov. Soyons justes et excessifs. La vie ne vaut d'être vécue que pour voir Mylène Jampanoï, sa lippe, ses dents de lait, sa chevelure anthracite, ses yeux peints au khôl comme une princesse décadente de l'Empire romain d'Orient, ses yeux enivrants et dangereux comme l'absinthe. Mylène Jampanoï pue le vice et l'innocence. C'est une actrice. C'est une femme.


Une enfant d'ascendances bretonne et chinoise ne peut être que bénie par les dieux et les génies dans son berceau d'osier. Les Bretons (la volonté me pousse à l'incarner Bigoudène) et les Chinois, ces deux peuples nobles et primitifs. J'entends primitif à la manière de Paul Gauguin, cet oracle catholique anticlérical, peintre par conviction, lassé du travail de fonctionnaire, qui connut les neiges du Danemark, l'authenticité du peuple sauvage finistérien, la folie de Van Gogh, la bêtise des administrateurs des colonies océaniennes, la faim viscérale décrite par Knut Hamsun, la mort de sa chère fille Aline, les joies maories, et enfin la grâce divine, qui lui fit peindre ses meilleures toiles dont D'où sommes-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Seul un possédé (un démon pour Fedor Dostoïevski) peut peindre tel chef-d'œuvre, telle extase picturale. Ce génie propre au Gauguin des dernières années me semble soluble dans l'être, l'intellect et la plastique de Mylène Jampanoï. Faut-il croire à une métempsychose, à une palingénésie entre Gauguin et Mylène Jampanoï ? Rien n'est moins sûr. Mon courriel à Platon est resté sans réponse.


Reste que Mylène Jampanoï est comme une femme peinte par Gauguin, un être plongé dans un univers unidimensionnel par une abolition clairvoyante de la perspective. Nous n'avons plus de perspective, nous n'avons que des aplats, des couches de couleurs, tout comme le visage d'une femme, unidimensionnel, est fardé de couches de maquillage, savamment, sauvagement appliquées, avec opiniâtreté et détermination pour embellir le néant.


Tout est dans le regard et dans la bouche. On sous-estime trop volontiers la bouche. Mick Jagger serait-il Mick Jagger sans sa lippe ? Mylène Jampanoï arbore ce qu'une presse anglophone a qualifié de bunny teeth, de dents de lapin. Elle peut en effet compter sur ses dents de lapin pour jouer les ingénues et les prudes, une posture contre-balancée par le vice de son regard. La bouche de Mylène Jampanoï est un calice où l'on boit le seuil de l'éternité.


Il est en cela fascinant que le film Fleurs de la Vallée, dans lequel Mylène Jampanoï disparait subitement, traite de la métempsychose. Mylène Jampanoï y joue le rôle d'une goule, photographiée admirablement dans l'Himalaya, à plus de 4000 mètres d'altitude. Je salue ici le travail, qu'on imagine difficile et laborieux, de filmer dans de telles conditions et de rendre à une actrice toute sa superbe et son mystère.


En parlant de disparition, on peut noter que Mylène Jampanoï aime se faire rare. Elle disparait abruptement dans Fleurs de la vallée (2005) et Martyrs (2008). Sa filmographie est pour l'instant mince. Elle a raison. Il ne faut pas trop se montrer. Elle est aujourd'hui à l'affiche de Gainsbourg, où elle incarne la fumeuse d'opium Bambou (jeu de mots involontaire). Clairvoyant, Clint Eastwood vient de la convoquer pour son film Hereafter. Elle rêve de jouer pour Park Chan Wook. On l'imagine plutôt dans un film d'Abel Ferrara ou Sono Sion.


On l'imagine, le dimanche matin, écouter Syd Barrett et Chopin, boire du thé à la bergamote, fumer des cigarettes anglaises, lire des vers d'Ezra Pound et des mémoires de grands voyageurs. Comme l'écrit Saint-Pol-Roux à l'encontre de Rimbaud, « tu as apporté un climat plus qu'un frisson, plus qu'un gilet rouge et plus qu'un assommoir, tu as apporté tous les rayons, tous les parfums... Et tu reviens couronnée de cinquante diamants. Reine de Saba ».