mardi 17 novembre 2009

Roi Heenok, Cocaïno Rap Musique Volume 2

Avant la sortie annoncée de Cocaïno Rap Musique Volume 2 le 15 décembre 2009, revenons sur le Roi Heenok, le seul gangsta rappeur francophone crédible malgré ce que pensent ses détracteurs, prompts à crier au canular et à dénoncer l’illégitimité artistique du Montréalais.

Le Roi Heenok : les silencieux étaient fournis à l'achat.

Retour sur l’ascension du Roi Heenok


Propulsé sur la scène rap en 2005 avec Propagande américaine: la dose, la mixtape et une promotion Internet efficace à coups de vidéos délirantes, hilarantes et provocatrices, le Roi Heenok se distingue des rappeurs français calibrés et conformistes de la fausse subversion, par des instrus minimalistes, des phrases à l’emporte pièce ("ça va devenir vrai dans cette pièce pour quelques instants", "ils pèsent rien dans leur balance, leurs montres valent moins que 100 dollars", "qu’est-ce qui s’putain d’passe, pute nègre ?" ou "mon médaillon touche à mon pénis") et des textes littéralement traduits du gangsta rap américain. Tous les clichés sont repris en français : trafic d’armes et de drogues, fascination pour l’argent, la mafia et les berlines de luxe comme en témoigne "Le Rêve Américain 2" :

84, le crack frappa Roi Heenok
Représente coke et marijuana
Relation mafia, d’la Suisse au Canada
Hors la loi, le blanchiment d’argent
Platine et diamant
La vie de gangster, la grosse chaîne,
Le succès dans les affaires, fait de l’air
La Mercedes, l’avion et l’hélicoptère
Mon revolver, 3.57 est Ruger
Un bébé Mac 11, le silencieux m’était fourni à l’achat

Dans "Clients satisfaits" :

J’ai du plaisir mon rap est bien cuit
Ma cocaïne aussi, Roi Heenok réussit
Vit la vie, conduit des BMW
Le cigare, le jacuzzi
Ma destinée, ma dynastie
Je trempe dans les billets US

Ou encore "Qu’est-ce que tu dis ?" :

Je cherche qu’à réussir
Réunir plus d’un million par semaine
La vie est courte, faut risquer
Heenok veut tous les tuer
Tuer tous ces pédés d’amateurs dans cette entreprise de rap français
Aucune finesse, appel de détresse
Paix aux voyous détenteurs de l’AK47
Grenades et mitraillettes
Chargés à bloc, j’amène une révolution
En moins de deux, je t’assois sur un banc
Et te ligote avec du ruban électrique

On note la touche surréaliste du Roi qui invente ici le concept de "ruban électrique". André Breton, complètement largué, s’interroge. En 2007, le Roi Heenok revient avec Cocaïno Rap Musique Volume 1, un hommage au rap old school d’Eric B & Rakim et EPMD. En 2008, le collectif Kourtrajmé réalise le "rapumentaire" Les Mathématiques du Roi Heenok. Le Roi pose avec de la marijuana et des armes à feu. Interloquée, la police montréalaise décide de se pencher sur le cas du Roi Heenok. Perquisition au Château Saint-Ambroise, le fief heenokien : armes à feu, stupéfiants, vêtements volés (!), trois personnes dont Heenok en garde à vue. Libéré grâce à ses "avocats juifs", Heenok performe quelques semaines plus tard au Social Club à Paris, sous les acclamations du public. Après l’annonce d’un enregistrement en duo avec Raekwon du Wu-Tang Clan (on attend toujours) et la sortie sans cesse repoussée de l’album La Guerre des étoiles, le Roi Heenok sort donc à la fin de l’année Cocaïno Rap Musique Volume 2.

Ça va devenir vrai dans cette pièce pour quelques instants.
 

Considérations sur le gangsta rap


Outre son phrasé atypique (c’est vrai que dans le rap français, tout le monde a le même flow ; être original est un crime, nouvel exemple du conformisme ambiant et totalitaire de cette industrie médiocre sponsorisée par Skyrock et son PDG polygame et "maître" d’une secte satanique), le Roi Heenok est critiqué pour le soi-disant ridicule de ses textes. Ah oui ? Je demande à ces personnes de traduire les textes d’Ice T ("Thé Glacé" comme dirait Antoine de Caunes), NWA, Capone & Noreaga ou 50 Cent avant de donner des leçons. Le gangsta rap est ontologiquement ridicule. C’est de l’entertainment avant tout. Un entertainment très lucratif typiquement américain. Après les hors la loi du Grand Ouest (Jesse James, Billy The Kid et consorts), les criminels entrepreneurs élevés au rang d’assistante sociale au grand cœur (Al Capone et sa soupe populaire pendant la dépression des années 1930) et la glorification des proxénètes (lire l’œuvre d’Iceberg Slim), le gangsta rappeur s’impose comme la synthèse contemporaine de tous ces acteurs. Ce n’est pas un hasard si, au début de sa carrière, Snoop Doggy Dogg était considéré comme le Lee Van Cleef du rap.

Snoop Doggy Dogg vs Lee Van Cleef. "Pass da gagnsta".

Le but du gangsta rappeur : réaliser le rêve américain de Horatio Alger en racontant des histoires de trafic de drogues, de putes et d’armes à feu. Dans le rap américain, plus on gagne d’argent, plus on est rebelle. Être un authentique rebelle, c’est posséder des berlines de luxe, des bracelets diamantés, des jets privés et des villas, tout en se revendiquant "de la rue". Et le public adhère. Comme le remarque le Roi Heenok, c’est littéralement un "rap jeu".


Le problème du rap français


Les gangsta rappeurs français (ou qui s’inspirent du gangsta) ne font que singer les rappeurs américains. Roi Heenok, lui, est américain. Pas la Mafia K’1Fry ni Stomy Bugsy ni Booba. Au lieu de s’inspirer du Parrain et de Scarface, deux films typiquement américains totalement incompatibles avec l’histoire et la culture de France (il n’y a ni parrain ni "balafré" en France, tout juste quelques malfrats vivant dans la clandestinité), pourquoi ne s’inspirent-ils pas des gangsters façon Jean-Pierre Melville et Michel Audiard ? Alain Delon et Lino Ventura plutôt que Robert de Niro et Al Pacino. Le seul à avoir agi dans ce sens-là est MC Jean Gab’1 qui depuis s’est tourné vers le cinéma et a délaissé le rap. Dans un entretien commandé et finalement censuré par Paris Match en 1998, Filip Nikolic des 2B3 (REP, fils) confie à l’écrivain Marc-Édouard Nabe : "Tout le monde n’est pas capable de parler de banlieue. Céline, lui était vrai. Les rappeurs n’ont qu’à lire Voyage au bout de la nuit, après ils auront le droit de parler de la banlieue d’aujourd’hui, parce que c’est la même que celle de 1932".


Alors qui est le plus ridicule, un Roi Heenok qui délivre un gangsta rap nord-américain en français ou des Français qui veulent se la jouer à la Al Pacino dans des barres de HLM délabrées ? Sans compter un autre point de détail particulièrement déroutant (mais les rappeurs n’en sont pas à une contradiction près), le côté "revendicateur et "politique" des gangsta rappeurs qui veulent se la jouer "à gauche" alors qu’il n’y a pas plus libéral et capitaliste que les gangsta rappeurs. Le gangsta rap, c’est l’idéal du darwinisme socio-économique et la loi du plus fort, genre "les plus faibles et les pauvres, on les emmerde, on est la pour l’oseille, y a que ça qui compte".

T'es jaloux c'est Roi Heenok.
Des types comme Kery James (Alix Mathurin à l’état civil) se prennent à tout le moins pour des sociologues et tout au plus comme des voix politiques. On est loin du "rap jeu" et de l’entertainment. Après les idiots utiles du capitalisme, voici venir les idiots utiles du rap et les nouveaux chiens de garde. Pas des bergers allemands, plutôt des caniches ou des teckels à poils ras. Kery James est le Gérard Miller du rap. Un donneur de leçons qui prône la paix et l’amitié dans les médias pour passer pour un type responsable et "conscient" mais qui est le premier à passer un tabac (accompagné de 4 ou 5 potes, pas fou le gars !) un autre rappeur. Si dans leurs textes et leur mode de vie, ils s’approchent de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi (Bling Bling, belles femmes, pouvoir), ce sont les premiers à crier à l’injustice sociale. Finalement, un des seuls rappeurs sensés, même si sa musique est mauvaise, c’est Booba. Issu de la classe moyenne, il est rentré à fond dans le "rap jeu" et a fondé une véritable industrie lucrative avec sa marque de vêtements et ses disques. Et il ne vient pas la ramener avec des discours politiques. Seuls l’argent et les bijoux l’intéressent.

Conclusion


Donc vive le Roi Heenok. Et que les rappeurs français arrêtent de fantasmer sur les États-Unis. Comme Nicolas Sarkozy, une fois de plus, leur idole honteuse qu’ils n’assument pas. Et le Roi Heenok de conclure, lucide et définitif :
Ta pute à l’hôtel de bon marché c’est Roi Heenok
T’es jaloux c’est Roi Heenok
T’es sur mon pénis c’est Roi Heenok
Les ventes de uzis c’est Roi Heenok
Han, les ventes de pistolets illégaux c’est Roi Heenok
T’es sur le pénis à fond mais qu’est ce qui s’passe dans cette putain d’entreprise ?



samedi 7 novembre 2009

Johnnie To - A Hero Never Dies (1998)


Un an avant The Mission et la reconnaissance internationale, Johnnie To a réalisé A Hero Never Dies, l'histoire de Jack et Martin, deux gardes du corps qui s'aiment bien mais qui travaillent pour deux chefs de triade qui se font la guerre. Un jour, leurs chefs décident de se débarrasser d'eux. Jack et Martin vont alors s'allier pour se venger.

Martin (Ching Wan Lau) et sa copine Fiona (Fiona Leung).

Martin en bonne compagnie.

Le film comporte deux grandes scènes: la première est une confrontation "amicale" entre Jack et Martin dans un bar où il s'amusent à casser des verres de vin avec une pièce de monnaie. La seconde est une fusillade dans un hôtel thaïlandais. Du grand art.


Jack (Leon Lai) flingue de jour comme de nuit.

Cet homme va-t-il bientôt mourir ?

Le générique du film est "Sukiyaki" du groupe américain A Taste of Honey (une adaptation d'une chanson japonaise de Kyu Sakamoto sortie en 1961). Cette chanson a été reprise en partie par Snoop Doggy Dogg en 1993 dans sa reprise de Slick Rick, "Lodi Dodi". Ci-dessous, un extrait de la scène du bar où Jack et Martin gâchent du vin hors de prix.

mardi 3 novembre 2009

Sogo Ishii - Le Labyrinthe des rêves (1997)

Sogo Ishii Labyrinthe reves
Sogo Ishii est souvent considéré comme le cinéaste punk du Japon. C'est en partie vrai mais depuis les années 1990, Ishii a complètement renouvelé son style et ses intentions, comme on peut le voir avec Le Labyrinthe des rêves (Yume no ginga). En 1977, alors étudiant à la Nihon University de Tokyo, Ishii tourne avec le matériel de l'école le court métrage Panic High School. Dans ce brûlot, il dénonce la pression exercée sur les étudiants pour entrer dans les grandes écoles et devenir un salaryman voué et corps et âme à son travail. Dans Panic High School, un étudiant au bout du rouleau arrive à l'université armé d'un fusil et tue son prof de maths. S'ensuit une prise d'otages qui vire peu à peu au carnage. En 1978, Sogo Ishii fait de Panic High School un long métrage aujourd'hui devenu un classique.

Sogo Ishii Labyrinthe revesDiscussion entre contrôleuses de billets de bus.

En 1980, Ishii réalise Crazy Thunder Road, un film post-apocalyptique où des gangs de motards se livrent une guerre sans merci rythmée par une musique punk incisive. Une variation de Mad Max, pour résumer. Tourné de façon indépendante en 16mm, la maison de production Toei décide de sortir le film en 35mm. Crazy Thunder Road fait partie des dix films préférés du réalisateur et acteur Takeshi Kitano.

Sogo Ishii Labyrinthe revesCigarettes Pall-Mall : Jean Lorrain apprécie.

Sogo Ishii continue en 1981 avec le moyen métrage Shuffle, un coup de poing nihiliste où un désespéré fuit des yakuzas et la police avant de se suicider dans le couloir d'un commissariat. Grosse claque et mise en scène simple et efficace. Le spectateur assiste ainsi pendant plus de dix minutes à une course poursuite en pleine rue filmée caméra à l'épaule, avec les tremblements que cela implique. En 1982, Ishii signe Burst City, sorte de manifeste du mouvement punk nippon du début des années 1980. On y voit des punks faire la fête, se battre avec la police et assister à des concerts des groupes The Rockers et The Stalin. On y voit aussi des motards enragés désireux d'en découdre avec les forces de l'ordre, la société industrielle et les yakuzas. Jusqu'en 1989, Sogo Ishii ne réalisera pas de long métrage à part Crazy Family en 1984. A la place, il fera des clips musicaux pour des groupes punks. C'est alors la fin de sa période punk, débutée en 1977.

Sogo Ishii Labyrinthe revesSogo Ishii Labyrinthe reves
Sogo Ishii Labyrinthe revesTomiko (Rena Kamine) et Niitaka (Tadanobu Asano). Je t'aime moi non plus.

En 1997, après le thriller Angel Dust (1994) et la romance surnaturelle August in Water (1995), Sogo Ishii revient avec Le Labyrinthe des rêves, un film au scénario très simple. Dans un village du Japon d'avant 1940, Tomiko, contrôleuse de billets dans un bus, reçoit une lettre de sa meilleure amie Tsuyako, également contrôleuse dans un autre village. Celle-ci lui annonce que son fiancé, un chauffeur de bus, projette de la tuer. Quelques jours plus tard, Tomiko apprend effectivement que Tsuyiko est morte dans une collision entre un train et un bus. Son fiancé, le chauffeur du bus, a étrangement survécu à l'accident. Peu après, une collègue de Tomiko lui raconte la rumeur selon laquelle un chauffeur de bus séduit les contrôleuses de billets avant de les assassiner mais d'une telle manière qu'il est au-dessus de tout soupçon. Du jour au lendemain, un nouveau chauffeur fait son apparition. Il s'agit justement de l'ancien fiancé de Tsuyako. Tomiko décide se venger de la mort de son amie mais elle tombe bientôt sous le charme du beau chauffeur. Mais est-il vraiment le fameux tueur de contrôleuses ? La mort de Tsuyako était-elle un meurtre déguisé ou un simple accident ?

Sogo Ishii Labyrinthe revesNiikata : tueur en série ou simple chauffeur de bus ?

Sogo Ishii Labyrinthe revesTomiko : son imagination lui joue-t-il des tours ?

Sogo Ishii montre ici un grand talent de cadreur et de metteur en scène. Sur une histoire très simple qui laisse peu de place à de l'action, le réalisateur sort de spectateur de l'ennui en vaporisant une atmosphère lourde et déroutante à coups de gros plans sur les visages de l'actrice principale, de plans statiques du paysage, d'ambiances tantôt brumeuses tantôt surexposées, le tout accompagné par une musique discrète et légèrement angoissante. Le noir et blanc et la photographie du film sont par ailleurs exceptionnels. Les deux acteurs principaux sont très convaincants. Rena Komine joue le rôle de Tomiko. Celle-ci n'a pas persévéré dans le cinéma même si on l'aperçoit dans Into a dream de Sono Sion. Son visage est pourtant très photogénique, ce qu'a compris Sogo Ishii qui multiplie les gros plans. Un réalisateur qui filme de tels visages en gros plans peut rarement faire un mauvais film. Le chauffeur de bus Niitaka est interprété par Tadanobu Asano, un des acteurs phares du cinéma japonais des années 1990-2000. On le voit notamment dans Tabou de Nagasa Oshima, Zatoichi de Takeshi Kitano, Ichi The Killer de Takashi Miike (le psychopathe masochiste blond platine, c'est lui !) et Café Lumière de Hou Hsiao-Hsien.



Ci-dessus un extrait du Labyrinthe des rêves.