samedi 31 janvier 2009

Rare interview de Richard Hell en 1977


Richard Meyers, mieux connu sous le nom de Richard Hell, est une des figures les plus importantes du mouvement punk. Au lycée, il se lie d'amitié avec Tom Miller. Passionnés par la littérature française, plus particulièrement le symbolisme et le décadentisme, Meyers prend le nom d'artiste de Richard Hell, en hommage à Une Saison en Enfer de Rimbaud, tandis que Miller adopte le "patronyme" de Verlaine. En 1969, à New York, ils fondent le groupe de rock The Neon Boys, qui devient par la suite Television. Bassiste, Hell est évincé du groupe en 1975 pour diverses raisons: incompatibilité d'humeur avec Tom Verlaine, jeu de basse approximatif, guerre d'ego pour imposer ses chansons, consommation d'héroïne... En mai 1975, il intègre le nouveau groupe de Johnny Thunders, The Heartbreakers. Ce groupe fantastique livrera des prestations scéniques exceptionnelles, notamment au CBGB's et au Max's Kansas City. Pourtant, Richard Hell, bassiste, parolier et chanteur sur quelques titres, quitte The Heartbreakers en 1976.

Après avoir joué dans deux des groupes phares du punk rock sans avoir su s'imposer, Hell fonde son propre groupe, The Voidoids. Il a alors le contrôle artistique du groupe et peut jouer son répertoire dont les hymnes "Love Comes In Spurts" et "Blank Generation", déjà joués avec Television et The Heartbreakers. Le refrain de "Blank Generation" passe vite à la postérité et devient une expression synonyme du mouvement punk new yorkais.

I belong to the blank generation and
I can take it or leave it each time
I belong to the ______ generation but
I can take it or leave it each time

Le 45-tours mythique de Richard Hell & The Voidoids.

The Voidoids se compose de Richard Hell au chant et à la basse, de l'excellent guitariste Robert Quine (REP 1942-2004), du second guitariste Ivan Julian et du batteur Marc Bell. Ils sortent l'album Blank Generation en 1977. Un classique du genre. Peu après la sortie de l'album, Richard Hell donne une interview radiophonique à Bob Alexander, le 28 septembre 1977 sur WBAI. Écouter ci-dessous. Attention, enregistrement très rare.



L'interview complète dure 32 minutes et il s'agit ici des 14 dernières. Hell évoque "Blank Generation", la deuxième chanson qu'il a écrite, en 1974. "C'était une sorte de blague". Hell enchaîne sur ses débuts musicaux avec Television: "A l'époque, on était les seuls à avoir les cheveux courts et des vêtements déchirés, on était complètement à la marge, un peu dans la tradition du Velvet Underground". Bob Alexander interroge ensuite Hell sur le songwriting, la violence dans le punk ("En Angleterre, le public vous crache dessus s'il vous aime") et la prochaine tournée des Voidoids en Albion en compagnie des Clash.

dimanche 25 janvier 2009

Le tract de Nabe sur Barack Obama


Daté du 20 janvier 2009, affiché sur les murs de Paris le lendemain, le dernier tract de Marc-Edouard Nabe a pourtant été peu lu jusqu'à présent. Et pour cause, en quelques heures, le tract nabien était vandalisé, lacéré, déchiré, détruit, illisible, etc... On retrouvait ici ou là des lambeaux de papier blanc où l'on pouvait décrypter quelques mots, quelques phrases, tout au plus. Pourquoi ce massacre ? Par respect de la loi sur l'affichage public ? Pour avoir du papier sur lequel écrire la liste de ses courses ? Par colère ? Par bêtise ?

Quatre raisons peut-être:
1) Le titre: "Enfin Nègre !"
2) L'illustration: La tête de Barack Obama, tout sourire, le fer au cou.
3) L'auteur: Marc-Édouard Nabe.
4) Le texte : heuuu... j'imagine que ceux qui ont déchiré le tract ne l'ont pas lu.

Dans ce tract, l'auteur de L'Âme de Billie Holiday donne son point de vue sur l'élection d'Obama et n'y va pas de main morte:

« L’Amérique se fout d’Obama, ce qu’elle voulait, c’est faire semblant aux yeux des autres de se laver de Bush alors qu’elle l’a plébiscité deux impardonnables fois. Ne pas oublier que les pires bushistes sont ceux-là mêmes qui ont voté Obama. Logiquement, il ne devrait pas y avoir assez d’oreilles pour mettre toutes les puces dedans. Personne ne semble trouver anormal que les néoconservateurs pro-Bush se soient métamorphosés en obamiens de la vingt-cinquième heure. Il y a pourtant une raison à cela: pour mieux réenculer le monde, il fallait à l’Amérique un nouveau gode. »


Voici le début du texte:

« Ça m’étonne. Moi, si passionné par les Noirs américains et si fanatique de l’Afrique en général, je reste de marbre face à l’élection historique de Barack Obama... Ça ne me fait strictement rien. Aucune émotion, pas un tressaillement de bonheur. Suis-je devenu insensible ? Normalement, ça aurait dû me faire plaisir que le petit Blanc McCain se fasse mettre par le grand Noir Obama, je ne comprends pas...

Je regarde autour de moi, ce sont des torrents de larmes. Un Noir enfin à la Maison Blanche! Les plus durs à cuire fondent d’extase. Les incrédules sont à genoux en train de remercier le Ciel, les défaitistes chantent victoire, les revenus de tout y repartent.

Pour les uns, l’élection d’Obama, c’est plus fort que le premier homme qui a marché sur la Lune. Pour les autres, c’est plus constructif que la destruction du mur de Berlin. Le CRAN jubile, les Antillais font des cabrioles... Au Jamel Comedy Club, on a regardé toute la nuit l’élection en direct pour faire la teuf entre « rebeux» et « renois » et entonner en choeur « What A Wonderful World »!

Et moi, je suis étrangement triste... Pourquoi bouder mon plaisir ? C’est encore mon maudit esprit de contradiction... Tout le monde adore Obama, alors forcément je suis contre... Quel rabat-joie ! Je suis bien bête de ne pas profiter de cette joie mondiale. »

Le tract complet ici en format pdf.

Rebatet à Sigmaringen: "Céline vient de débarquer"

Lucien-Rebatet
Lucien Rebatet (1903-1972), écrivain scandaleux, favorable à l'hitlérisme, condamné à mort en 1946 et gracié l'année suivante, est l'auteur des Décombres et des Deux étendards. Il fit partie de la délégation française à s'exiler à Sigmaringen en 1944, pour échapper aux mains des résistants et des alliés. En novembre 1944, Louis-Ferdinand Céline débarque avec sa femme Lucette et son chat Bébert. Dans ce texte extrait de Mémoire d'un fasciste, Rebatet raconte la vie du ménage Destouches à Sigmaringen. Sont évoqués l'acteur Le Vigan, la hantise du ravitaillement, la Revue des Deux Mondes, le Prix Nobel et le départ pour le Danemark.

Louis-Ferdinand-CelineLa fausse carte d'identité qu'utilisa Céline pour quitter la France en 1944. Céline, écrivain hors-la-loi !

Quand un matin du début de novembre 1944, le bruit se répandit dans Sigmaringen : « Céline vient de débarquer », c'est de son Kränzlin que le bougre arrivait tout droit. Mémorable rentrée en scène. Les yeux encore pleins du voyage à travers l'Allemagne pilonnée, il portait une casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de locomotives vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes superposant leur crasse et leurs trous, une paire de moufles mitées pendues au cou, et au-dessous des moufles, sur l'estomac, dans une musette, le chat Bébert, présentant sa frimousse flegmatique de pur Parisien qui en a connu bien d'autres. Il fallait voir, devant l'apparition de ce trimardeur, la tête des militants de base, des petits miliciens : « C'est ça, le grand écrivain fasciste, le prophète génial ? » Moi-même, j'en restais sans voix.

Louis-Ferdinand, relayé par Le Vigan, décrivait par interjections la gourance de Kränzlin, un patelin sinistre, des Boches timbrés, haïssant le Francose, la famine au milieu des troupeaux d'oies et de canards. En somme, Hauboldt était venu le tirer cordialement de ce trou, et Céline, apprenant l'existence à Sigmaringen d'une colonie française, ne voulait plus habiter ailleurs.

La première stupeur passée, on lui faisait fête. Je le croyais fini pour la littérature. Quelques mois plus tôt, je n'avais vu dans son Guignol's Band qu'une caricature épileptique de sa manière (je l'ai relu ce printemps, un inénarrable chef-d'oeuvre, Céline a toujours eu dix, quinze ans d'avance sur nous). Mais il avait été un grand artiste, il restait un prodigieux voyant.

Louis-Ferdinand-CelineLe "médecin des pauvres" à Meudon dans les années 50.

Nous nous sommes rencontrés tous les jours pendant quatre mois, seul à seul, ou en compagnie de La Vigue, de Lucette, merveilleuse d'équilibre dans cette débâcle et dans le sillage d'un tel agité. Céline, outre sa prescience des dangers et cataclysmes très réels, a été constamment poursuivi par le démon de la persécution, qui lui inspirait des combinaisons et des biais fabuleux pour déjouer les manœuvres de quantité d'ennemis imaginaires. Il méditait sans fin sur des indices perceptibles de lui seul, pour parvenir à des solutions à la fois aberrantes et astucieuses. Autour de lui, la vie s'enfiévrait aussitôt de cette loufoquerie tressautante, qui est le rythme même de ses plus grands bouquins. Cela aurait pu être assez vite intolérable. Mais la gaieté du vieux funambule emportait tout.

[...]

L'auditoire des Français, notre affection le ravigotaient d'ailleurs, lui avaient rendu toute sa verve. Bien qu'il se nourrît de peu, le ravitaillement le hantait : il collectionnait par le marché noir les jambons, saucisses, poitrines d'oies fumées. Pour détourner de cette thésaurisation les soupçons, une de ses ruses naïves était de venir de temps à autre dans nos auberges, à l' « Altem Fritz », au « Baren », comme s'il n'eût eu d'autres ressources, partager la ration officielle, le « Stammgericht », infâme brouet de choux rouges et de rutabagas. Tandis qu'il avalait la pitance consciencieusement, Bébert le « greffier » s'extrayait à demi de la musette, promenait un instant sur l'assiette ses narines méfiantes, puis regagnait son gîte, avec une dignité offensée.

— Gaffe Bébert ! disait Ferdinand. Il se laisserait crever plutôt que de toucher à cette saloperie... Ce que ça peut être plus délicat, plus aristocratique que nous, grossiers sacs à merde ! Nous on s'entonne, on s'entonnera de la vacherie encore plus débectante. Forcément !

Louis-Ferdinand-CelineCéline et Bébert.

Puis, satisfait de sa manœuvre, de nos rires, il s'engageait dans un monologue inouï, la mort, la guerre, les armes, les peuples, les continents, les tyrans, les nègres, les faunes, les intestins, le vagin, la cervelle, les Cathares, Pline l'Ancien, Jésus-Christ. La tragédie ambiante pressait son génie comme une vendange. Le cru célinien jaillissait de tous côtés. Nous étions à la source de son art. Et pour recueillir le prodige, pas un magnétophone dans cette Allemagne de malheur ! (Il en sort à présent cinquante mille par mois chez Grundig pour enregistrer les commandes des mercantis noyés dans le suif du « miracle » allemand.) Dans la vaste bibliothèque du château des Hohenzollern Céline avait choisi une vieille collection de la Revue des Deux Mondes, 1875-1880. Il ne tarissait pas sur la qualité des études qu'il y trouvait : « Ça, c'était du boulot sérieux... fouillé, profond, instructif... Du bon style, à la main... Pas de blabla. » C'est la seule lecture dont il se soit jamais entretenu devant moi. Il était extrêmement soucieux de dissimuler ses « maîtres », sa « formation ». Comme si son originalité ne s'était pas prouvée toute seule, magnifiquement.

De temps à autre, quand nous nous promenions tous deux sans témoin, le dépit lui revenait de sa carrière brisée, mais sans vaine faiblesse, sur le ton de la gouaille :

— Tu te rends compte ? Du pied que j'étais parti... Si j'avais pas glandé à vouloir proférer les vérités... Le blot que je me faisais... Le grand écrivain mondial de la « gâche »... Le chantre de la peine humaine, de la connarderie absurde... Sans avoir rien à maquiller. Tout dans le marrant, Bardamu, Guignol, Rigodon... Prix Nobel... Les pauvres plates bouses que ça serait, Aragon, Malraux, Hemingway, près du Céline... gagné d'avance... Ah ! dis donc, où c'est que j'allais atterrir !... « Maî-aître »... Le Nobel... Milliardaire... Le Grand Crachat... Doctor honoris causa... Tu vois ça d'ici !

Robert-Le-Vigan-JesusRobert Le Vigan, dit La Vigue (1900-1972), dans le rôle de Jésus-Christ dans le film Golgotha de Jean Duvivier (1935). Il finira sa vie dans la pampa en Argentine.

[...] Les Allemands passaient tout à Céline, non point à cause de ses pamphlets qu'ils connaissaient mal, mais parce qu'il était chez eux le grand écrivain du Voyage, dont la traduction avait eu un succès retentissant. Le fameux colonel Boemelburg lui-même, terrible bouledogue du S.D. et policier en chef de Sigmaringen, s'était laissé apprivoiser par l'énergumène. Il fallait bien d'ailleurs que Céline fût traité en hôte exceptionnel pour être arrivé à décrocher le phénoménal « Ausweis », d'un mètre cinquante de long, militaire, diplomatique, culturel et ultra-secret, qui allait lui permettre, faveur unique, de franchir les frontières de l'Hitlérie assiégée.

Il n'avait pas fait mystère de son projet danois : puisque tout était grillé pour l'Allemagne, rejoindre coûte que coûte Copenhague, oh il avait confié dès le début de la guerre à un photographe de la Cour son capital de droits d'auteur, converti en or, et que ledit photographe avait enterré sous un arbre de son jardin. L'existence, la récupération ou la perte de ce trésor rocambolesque n'ont jamais pu être vérifiées. Mais sur la fin de février ou au début de mars, on apprit bel et bien que Céline venait de recevoir le mythique « Ausweis » pour le Danemark.

Louis-Ferdinand-Celine-DaemarkCéline au Danemark en 1947. Une mauvaise passe !

Deux ou trois jours plus tard, pour la première fois, il offrit une tournée de bière, qu'il laissa du reste payer à son confrère, le docteur Jacquot. À la nuit tombée, nous nous retrouvâmes sur le quai de la gare. Il y avait là Véronique, Abel Bonnard, Paul Marion, Jacquot, La Vigue, réconcilié après sa douzième brouille de l'hiver avec Ferdine, deux ou trois autres intimes. Le ménage Destouches, Lucette toujours impeccable, sereine, entendue, emportait à bras quelque deux cents kilos de bagages, le reliquat sans doute des fameuses malles, cousus dans des sacs de matelots et accrochés à des perches, un véritable équipage pour la brousse de la Bambola-Bramagance. Un lascar, vaguement infirmier, les accompagnait jusqu'à la frontière, pour aider aux transbordements, qui s'annonçaient comme une rude épopée, à travers cette Allemagne en miettes et en feu. Céline, Bébert sur le nombril, rayonnait, et même un peu trop. Finis les « bombing », l'attente résignée de la fifaille au fond de la souricière. Nous ne pèserions pas lourd dans son souvenir. Le train vint à quai, un de ces misérables trains de l'agonie allemande, avec sa locomotive chauffée au bois. On s'embrassa longuement, on hissa laborieusement le barda. Ferdinand dépliait, agitait une dernière fois son incroyable passeport. Le convoi s'ébranla, tel un tortillard de Dubout. Nous autres, nous restions, le cœur serré, dans l'infernale chaudière. Mais point de jalousie. Si nous devions y passer, du moins le meilleur, le plus grand de nous tous en réchapperait.

Un poème du grand Pierre de Régnier

Pierre-de-Regnier-Femme
Pierre de Régnier, ce grand écrivain, n'est plus à présenter ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, voir ici, puisque j'ai déjà écrit sur cet énergumène, auteur, entre autres, de La Vie de Patachon, Stances, instances et inconstances et La Femme. Ce dernier, publié en 1928, narre les aventures amoureuses de Bernard et contient un poème intitulé "Le bec de gaz" reproduit ici. Bernard s'adresse à Hélène, qui se refuse à lui. Le ton est léger à souhait.

Avec vous, j'ai tout essayé: l'indifférence,
La gentillesse, l'air transi, le désespoir,
La fureur, la rapidité, la patience,
Quand je restais des jours et des jours sans vous voir;

Je vous ai débité des torrents de paroles,
Failli vous violer derrière un paravent,
Pendant un mois, je vous ai presque rendu folle,
Vous suivant pas à pas dans tous les restaurants;

J'ai employé des airs badins et ironiques
J'ai été tour à tour enfant et protecteur;
Je vous téléphonais d'un air si pathétique
Que vous pouffiez de rire à l'autre récepteur;

J'ai tout fait, tous les trucs idiots: la jalousie,
La muflerie, afin de vous exaspérer;
Peloté devant vous vos meilleures amies,
A la fin, j'ai même voulu vous oublier;

Pendant deux ans, j'ai parcouru la terre entière
Pour vous tenir la main dans le fond d'une auto,
En me disant: Elle est la seule, et la première,
Il me la faut, il me la faut, il me la faut;

J'ai vaincu mes timidités insurmontables
Et chaque fois que je me suis jeté sur vous
J'ai toujours rencontré des dents infranchissables
Mais vos yeux n'étaient pas fâchés: ils étaient doux.

Alors ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi ces engueulades,
Vos promesses, mes repentirs mal réfrénés ?
Nous sommes devenus de très bons camarades
Et quand je vous oublie, vous me téléphonez...

Je viens vous voir, vous êtes seule, aimable et belle;
Je ne suis plus pour vous qu'un ami presque froid...
Seriez-vous par hasard une femme fidèle ?
Je ne vous connais pas d'autre "galant" que moi...

Vous m'excitez ; ça, c'est vraiment indiscutable
Et je vous aime, en plus. Que vous faut-il de mieux ?
J'ai roulé à cause de vous sous bien des tables
Pour engourdir d'alcool mon coeur trop amoureux;

J'ai cru d'abord que vous seriez la récompense
De ce coeur oublieux, sans but, sans passion,
Mais plus je vous connais, plus maintenant je pense
Que vous êtes ma première punition;

Vous êtes le refus et vous êtes le doute,
Vous êtes le tourment de ma facilité
Et l'amour vous a mise, à la fin, sur ma route
Pour prouver qu'il existe en toute cruauté;

O vous que je n'ai pas encore possédée,
Vous dont un seul regard peut changer mon humeur
O vous, inattaquable autant qu'inespérée,
Vous qui m'environnez d'un parfum de bonheur;

Ah! résistez longtemps et refusez encore,
Je vous veux une fois pour pouvoir me venger
Car aussitôt tombé ce refus que j'adore
Je vous déteste trop pour jamais vous aimer.

En savoir plus sur Pierre de Régnier :
Pierre de Régnier : Colombine ou la grande semaine (1929)
Pierre de Régnier : La Vie de Patachon (1930)
Pierre de Régnier : Stances, instances et inconstances (1926)

mardi 20 janvier 2009

Jake LaMotta contre Sugar Ray Robinson


Jake LaMotta reste dans la mémoire des amateurs de boxe et des cinéphiles grâce au film de Martin Scorsese, Raging Bull, adapté de l'autobiographie du poids moyen italo-américain. On se souviendra peut-être à jamais de Jake LaMotta sous les traits de Robert de Niro, se comportant comme un authentique branleur et grossier personnage, frappant sa femme, insultant à tout va et finissant sa vie comme humoriste alcoolique raté dans un club de troisième zone.

C'est une vision de LaMotta. Peut-être juste, peut-être pas. Peu importe.

L'amateur de Raging Bull ne peut maintenant s'empêcher de penser aux six combats contre Sugar Ray Robinson et au fameux "massacre de la Saint-Valentin" du 14 février 1951 au Chicago Stadium, où, luttant pour le titre de champion des poids moyens, LaMotta se vit asséner une pluie de coups sans tomber à terre. L'arbitre arrêta le "massacre" au milieu de la 13è reprise. Finalement, LaMotta n'a gagné qu'une fois contre Sugar Ray Robinson.

Voici la chronologie des six rencontres:

2 octobre 1942: défaite aux poings.
5 février 1943: victoire aux poings. A noter que Sugar Ray fut mis K.O. dans les cordes à la 8è reprise mais fut sauvé par le gong alors que l'arbitre venait de compter neuf.
26 février 1943: défaite aux poings.
23 février 1945: défaite aux poings.
26 septembre 1945: défaite aux poings. Selon Sugar Ray Robinson, "this was the toughest fight I've ever had with LaMotta."
14 février 1951: défaite par K.O. technique à la 13è reprise.

Deuxième rencontre, le 5 février 1943. A la 8è reprise, LaMotta envoie Robinson dans les cordes. K.O., ce dernier sera sauvé par le gong à une seconde près !

Pour en revenir à leur dernière rencontre, il est intéressant de comparer le match tel qu'il s'est déroulé et la vision qu'en donne Scorsese. Tout d'abord, Scorsese reprend les véritables commentaires télévisés de l'époque ! Ensuite, il isole le ring du reste de la salle en introduisant une brume qui donne un côté irréel à la scène. De telles vapeurs sont imaginaires. Les vidéos de la rencontre montrent même les photographes collés au ring, allant jusqu'à poser leurs appareils sur l'aire de combat ! Impensable aujourd'hui... Enfin, Scorsese exagère les effusions de sang: l'arcade sourcilière qui explose, le sang qui coule sur les cordes et LaMotta qui titube devant Robinson après la rencontre... rien de tout ça n'est exact.

Mais, une fois de plus, peu importe. Scorsese a réalisé un excellent film et Robert de Niro, oscarisé pour la première fois, démontre tout son art. Ci-dessous les dix dernières minutes du combat du 14 février 1951, où LaMotta, tout simplement impuissant face à Sugar Ray Robinson, encaisse coup sur coup, ne se protégeant guère, mais restant debout jusqu'à l'arrêt du combat par l'arbitre.


Scorsese a utilisé certains commentaires de l'époque dans Raging Bull. A vous de les découvrir !

Jake LaMotta, le Taureau du Bronx, a boxé du 3 mars 1941 au 14 avril 1954. Il a livré 106 combats dont 83 victoires (30 par K.O.), 19 défaites et 4 nuls. LaMotta a été mis au tapis une seule fois, le 31 décembre 1952, contre Danny Nordico, tombant à la 7è reprise.

lundi 19 janvier 2009

Francis de Miomandre et la femme dans le roman

Francis-de-MiomandreFrancis de Miomandre (1880-1959), écrivain prolixe et talentueux avait l'art de trouver des très bons titres à ses ouvrages. Ainsi, Méditations sur la femme de France (1916), Passy-Auteuil ou le vieux monsieur du square. Monologue intérieur (1928), Le Jeune homme des palaces (1929), Âmes russes 1910 (1931) ou L'Invasion du paradis (1937). Sans oublier Mon caméléon (1937), qui traite, comme son titre l'indique, du caméléon domestique de Francis de Miomandre !

Prix Goncourt en 1908 pour son roman Écrit sur l'eau, tiré à 500 exemplaires, Francis de Miomandre a publié ses premiers textes dans des revues. Voici l'un d'entre eux, cet essai intitulé "La Femme dans le roman contemporain" et publié dans La Nouvelle Revue de septembre-octobre 1901.


Le roman français, depuis ses origines, eut toujours pour but secret ou avoué la glorifications de la femme. L'amour et ses péripéties en formaient les sujets favoris. Soit qu'il se resserre dans le moule psychologique comme les œuvres analytiques de Laclos ou de Benjamain Constant, soit qu'il se disperse dans l'emportement romantique de Châteaubriand ou de George Sand, il n'en court pas moins à un dénouement unique: la possession. L'auteur des Liaisons dangereuses s'en moque et ne considère cela que comme une conquête de vanité, un pari gagné. Sand s'émerveille et appelle à son aide les phrases grandioses, la poésie du désir, toute l'armée de l'illusion amoureuse, mais l'idéal cherché est toujours le même. [...]

Nul écrivain n'a pour ainsi dire, le goût de la femme. Cette indifférence est visible dans l'omission d'une foule de détails qui sont comme les accessoires du culte féminin: la toilette, l'ameublement, les caprices de modes et la foule de brimborions dont elle attife son âme et corps.

L'amour, en effet, n'est pas le goût. Il y a dans la délicate dilection que suppose ce dernier mot une série de nuances particulières, dont chacune peut correspondre à une variété amoureuse, mais non pas lui être équivalente.

Balzac, l'auteur de Béatrix (1839) qui met en scène la marquise de Rochefide,
incarnation de la femme fatale.


Balzac fut le premier qui manifestât ce goût d'une manière spéciale. Il décrivit longuement, avec un évident plaisir, tout ce qui touchait à la femme de son temps: ses robes, ses bijoux, ses appartements, les milieu où elle évoluait. Il vanta sa bonté, sa grâce, le charme qu'elle répandait sur la société. il envisagea avec une lucide tendresse ses rapports avec ce qui était sa raison d'être et sa destination, il s'étendit sur son ascendance, ses devoirs, son éducation, ses caprices, les lois physiologiques qui la mènent. Il s'amusa même, par boutade, à dresser la liste comparative de ses honnêtes femmes et de ses coquines, donnant l'avantage du nombre aux premières. Et, même parmi les secondes, combien n'y en a-t-il pas qui se font pardonner leurs vices par l'atténuation de leur beauté ou de leurs vertus avortées ? [...]

Quand parut en France Madame Bovary, ce fut en France un scandale. Un procès retentissant eut lieu, au cours duquel la morale bourgeoise et les lois jetèrent au front de l'auteur tous les anathèmes qu'elles pouvaient proférer. Mais le reproche le plus cuisant qu'elles lui firent, celui que tous les autres sous-entendaient et qui ne fut pas prononcé, ce fut d'avoir manqué de respect à la femme. En effet, il avait battu en brèche cette conception sentimentale d'après laquelle la compagne de l'homme se dressait en déesse inaccessible et parfaite, dignes d'hommages, mystérieuse parce que fantasque et possédant tous les pouvoirs parce qu'elle avait toutes les faiblesses. Flaubert avait changé tout cela: d'après lui, c'était un être débile qui voulait faire l'ange et restait femelle, n'avait droit qu'à une pitié relative et ne recelait point d'énigme. Il en faisait un petit animal de fatalité, quelque peu au-dessous du mâle. [...]

Les Goncourt considèrent la femme comme une bête de luxe qu'on enferme dans de somptueuses volières et qu'on admire, et qu'on détaille, précieusement. Ils aiguisèrent les plus fins outils de leur description et de leur analyse pour disséquer l'oiseau joli après s'être extasié sur ses plumes. Ils eurent à un égal degré le goûts des falbalas et de la recherche psychologique. L'oeuvre de Flaubert ayant atteint de suite une valeur imprévue de généralisation, ils furent obligés, pour rester nouveaux, de devenir rares. Leur dilection se pencha sur les phénomènes anormaux, comme dans La Faustin ou très particularisés comme dans Renée Mauperin. [...] Avec les Goncourt se perd une forme de l'amour de la femme qu'on ne retrouvera que plus tard. Mais il y aura auparavant un interrègne de pessimisme. Car, tandis que les "deux frères siamois de l'écriture artiste" avaient pris à Flaubert l'indulgence et le goût de fine sensualité, Maupassant et Zola lui durent leur vision morose.


Catherine Hessling est Nana dans le film de Jean Renoir (1926) adapté du roman d'Emile Zola.

Avec Bourget, la tradition sentimentale se renoue. [...] Contre la tentative spiritualiste de Bourget une réaction se fit, presque immédiate et dont le protagoniste le plus intransigeant fut Paul Adam. Ce dernier dirigea contre le sentimentalisme d'une campagne à outrance. Selon lui, la femme est un être luxurieux et pervers à qui il convient de ne pas demander autre chose que les satisfactions de l'instinct. A peine peut-on les tolérer si elles se font les compagnes intellectuelles de l'homme. Un sexe et un cerveau, mais pas de coeur. [...] Avec Adam est bien fini le règne du sentimentalisme. Tous les romanciers présents aiment la femme, mais plus aucun ne revient aux vieilles illusions tendres.

Les uns sont purement sensuels: ils exaltent le culte des formes et l'amour de la beauté, mais ils ne vont pas plus loin que l'épiderme. Et même dans cette sensualité, mille nuances les séparent. Pierre Loti traîne son ennui et sa terreur de la mort sur les corps les plus beaux des pays les plus divers. La nostalgie et l'exotisme varient ses sensations et les idéalisent parfois, mais leurs doubles rayons s'entrecroisent sur des enveloppes plus curieuses que belles et qui abritent des âmes sommaires ou vulgaires. Pierre Louÿs veut revenir aux temps où la femme régnait nue et l'antiquité grecque est son obsession. [...]


Marlene Dietrich dans La Femme et le Pantin (1935) de Josef von Sternberg, adapté du roman de Pierre Louÿs. Une vision bien cruelle de la femme...

Catulle Mendès aussi aime la beauté grecque mais, la transportant à Paris, il lui donne un attrait spécial et pervers. Les incestes et les inversions lui sont familières et aussi le goût des oripeaux et des fards. Et tout cela forme un mélange barbare et séduisant, plus faible cependant que celui qu'agite Jean Lorrain pour en griser les héroïnes de ses sadiques inventions. La mort avec toutes ses décompositions lui agréé: il aime les fards parce qu'ils donnent une teinte macabre et tous les poisons de la volonté: l'éther, la morphine, l'opium parce qu'ils embellissent ceux qui les emploient de cet air mourant à la fois et élégant qui prélude à leur finale inertie. Soit que, duchesse ou grande courtisane, elle traîne dans des mondes pas très différents une figure d'ennui morbide, soit que, pierreuse, elle attend le mâle qu'elle va suriner, la femme, chez Jean Lorrain, chérit et attend la mort, ou reçue, ou donnée. Quant à Rachilde, qui mélange à la luxure des velléités d'une intellectuelle insexuée, elle peut, avec La Jongleuse, La Princesse des ténèbres et ses contes si remarquables, marquer le passage qui rejoint les sensuels et les cérébraux.

"Leslie, fumeuse d'opium" (1915-1916) du peintre Raphaël Kirchner. Une femme qui aurait esthétiquement plu à Jean Lorrain, toxicomane notoire.

Ceux-ci, par mépris, laissent la femme vouée à la volupté mais ils la haussent à leur cerveau et lui distendent l'intelligence jusqu'à en faire des égales de l'homme, et de l'homme le plus cultivé. Maurice Barrès présente Bérénice, la Petite Secousse, une fillette élevée dans un musée, à la fois nulle et sérieuse, comme une infante qui paraît rêver à la chute des Empires, et Astiné Aravian est une femme extraordinaire. Léon Daudet traîne en un triomphe luxurieux et intellectuel des jeunes filles comme Suzanne, Marianne, Jacquemine. La Flamme et l'Ombre, Claire pour qui les lois sociales sont de vieilles écorces rejetées dont elles ont dévoré, à leur profit, la substance. Remy de Gourmont tantôt monstre, dans Les Chevaux de Diomède et Le Songe d'une femme de petites féministes inconscientes et nues qui font la parade de l'amour, tantôt explique, dans Sixtine, les atermoiements et les hésitations d'une mondaine cultivée et toujours, que ce soit Fanettes, Sixtine ou Néobelle, ce sont des êtres fins, vêtus d'élégance et entourés de sourires. Péladan recouvre de brocarts et de splendeur des princesse d'Italie, chargées de luxure et d'érudition et d'un sadisme parfois enfantin.

D'autres encore, plus sérieux, ne voient en la femme qu'une compagne morale. Ils mettent la volupté à sa place d'arrière-plan et haussent la sentimentalité à sa valeur d'échange permanent: les uns s'orientent vers le réalisme comme les Margueritte qui voient la vie moyenne telle qu'elle est et ses modestes consolations et les Rosny qui y introduisent l'idée de science et dont les héroïnes sont d'une psychologie bien complexe ; les autres, comme Camille Mauclair tendent à une forme plus spiritualisée et plus abstraite qu'illumine le soleil du devoir ; tous sont d'accord sur les questions vitales de l'amour et de l'union.

Il en est que touche davantage le froissement que subit la femme dans la Société: tels, Paul Hervieu, Maurice Beaubourg et quelque peu Abel Hermant. Ce sont surtout des moralistes. Ils s'apparentent de loin à une pléiade d'esprits ironiques qui racontent les malheurs de la tribu sans descendre au milieu d'elle et dont pour cela la pitié n'est pas moindre: Willy, J. Marni, Jules Renard, Tristan Bernard, chacun dans des directions complètement divergentes.

Henry Gauthier-Villars dit Willy, amateur de femmes, mari de Colette et écrivain célèbre. Il signait parfois de son nom des livres rédigés par des nègres ; ainsi Maîtresse d'esthètes (1897) écrit par Jean de Tinan. A lire aussi: Lélie, fumeuse d'opium (1911).

Chez tous ces écrivains, malgré les théories voulues ou les cruautés inconscientes, il subsistait cette parcelle de l'amour de la femme qu'avaient les Goncourt et qui fit leur grâce, ce goût du superficiel, de l'élégance et de la fine sensualité.

Le goût qui avait empli tous les contes et toute l'existence du délicieux Théodore de Banville, éclate dans toute sa force en des oeuvres comme celle d'Anatole France. Le fin critique de notre histoire contemporaine chérit en Mme de Gromance la forme de l'impérissable volupté. Et si les autres femmes de ses livres n'atteignent point à la perfection du rêve de M. Bergeret, du moins leurs efforts pour y parvenir sont-ils touchants et témoignent-ils du désir du beau. Ce goût transparaît chez d'autres auteurs. Vanderem met en scène, en des romans qui rappellent par leur composition les contes du XVIIIe siècle (La Cendre, Les Deux rives, Charlie) des bourgeoises élégantes ou de petites nobles qui tombent avec grâce dans des fautes sans gravité, Gyp raconte allègrement les minuscules aventures mondaines de femmes qu'elle méprise mais qui sont de gentilles poupées. Abel Hermant passe avec facilité de la finesse d'Eddy toute petite et toute pure au sérieux de l'héroïne de Serge et à la grâce attendire de l'aïeule des Souvenirs. Ce goût imprègne les savoureux romans de René Boylesve où l'amour provincial revêt des formes si inattendues et si suaves: Le Médecin des Dames de Néans, ce conte merveilleux et La Becquée, et Mlle Cloque, et Sainte-Marie des fleurs, et Le Parfum des Îles Borromées ; il dirige la vie et les oeuvres du regretté Jean de Tinan dont Ninon de Lenclos, Blanche-Marcelle, Jane-la-Pâle, Geneviève et Aimienne sont des types si charmants de coquetterie, d'inconscience et de vice léger.


La danseuse Cléo de Mérode (1881-1966) photographiée par Nadar. Ses charmes seront célébrés par Jean de Tinan dans Penses-tu réussir !

Enfin, il donne son aboutissement complet à la fois et exclusif dans les rares ouvrages de Marcel Boulenger et de Marcel Proust. On ne peut aller plus loin que dans La Femme baroque et dans Les Plaisirs et les Jours dans la dilection de la femme. Ils aiment tout d'elle - et sans passion - depuis ses goûts jusqu'à sa voix, et la forme menue des seins des jeunes filles ; ils les aiment dans le passé, reines mortes qui furent gracieuses. Ils en parlent comme d'un paradis perpétuel et des délices de la terre. La galanterie la plus stylisée orenemente leurs propos et leurs gestes sont un hommage continu et courbé de gratitude. Mais ils ne sont pas amoureux. Goncourt en eux eût aimé des fils intellectuels, mais si raffinés et si complexes qu'ils closent sa descendance et marquent comme l'extrême produit d'une race, de la race des amateurs de la femme. La jeune fille du Page est un type de beauté bizarre et complexe ; on en aime à la fois la rare poésie e l'exactitude. Et personne n'a comme elle le sens de la mesure dans la plus sincère passion. Quant à Mme de Breyves et à ses sœurs mélancoliques, elles ont l'extrême atteint d'une tendresse pliante, pensive et raffinée.


Ornella-Muti-nude-nueOrnella Muti dans le rôle d'Odette de Crécy dans Un Amour de Swann (1984) de Volker Schlöndorff. Les seins fantastiques d'Odette de Crécy ne sont pas étrangers à la passion de Swann.

Tout compte fait, si l'on écarte de la question les rares auteurs qui aiment en la femme la compagne égale et l'amie avec des hanches, il reste évident que, depuis Flaubert, une désillusion a passé. L'idole est tombée de son piédestal et pour prix de sa déchéance acquit la poignée de main et le frôlement de la foule. Et de plus en plus les écrivains contemporains, sceptiques et artistes, tendent à ne voir en elle que l'être qui fait de jolis gestes et la parodie de l'Amour, qui peut devenir un camarade mais reste toujours frivole et dont tous les sentiments, toutes les pensées, tous les caprices se ramènent, comme au gré des modes leurs robes, à la toilettes et à l'artifice.

dimanche 18 janvier 2009

Abel Bonnard et l'argent

Abel-Bonnard
Abel Bonnard (1883-1968) est un écrivain peu connu aujourd'hui bien qu'il fut académicien. Mais bien peu d'académiciens demeurent immortels dans la mémoire des hommes. Abel Bonnard est surtout connu pour ses activités politiques. Maurassien, antiparlementariste, antisémite, adhérent au Parti Populaire Français de Jacques Doriot, Bonnard fut ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse entre 1942 et 1944. A cette époque, il écrit dans Je Suis Partout. Après un passage à Sigmaringen en 1944 (lire D'un château l'autre de Céline pour plus de renseignements sur cette période drolatique de la politique française), Bonnard se réfugie en Espagne où il passe un an dans les prisons de Franco avant d'obtenir l'asile politique. En France, le Comité National des Ecrivains s'occupe de son cas. Condamné à mort par contumace le 4 juillet 1945, sa condamnation à la dégradation nationale entraîne de facto son exclusion de l'Académie française. En1960, il revient en France, est rejugé et condamné à dix ans ans de bannissement avec effet à partir de 1945. La peine était donc symbolique et déjà purgée mais, n'acceptant pas cette « flétrissure morale », Abel Bonnard préfère retourner en Espagne où il meurt en 1968.

On compte parmi ses oeuvres Notes de voyage: en Chine (1920-1921), Éloge de l'ignorance, La Vie amoureuse d'Henri Beyle, Les Modérés et Pensées dans l'action. En 1928, il publie L'Argent, recueil d'aphorismes et de réflexions dont voici des extraits. Ce livre fait partie d'une collection de notes et maximes éditée par Hachette au milieu des années 1920. Cette collection comprend La Mode par Francis de Miomandre, La Conversation par André Maurois, Le Voyage par Paul Morand ou Le Sport par Jean Giraudoux.

Abel-Bonnard-Argent
Le monde moderne est le monde de l’argent : c’est la plus brève façon de dire qu’il n’a plus d’âme.

*

L’argent ne doit être que le plus puissant de nos esclaves.

*

Il y a des riches qui ne nous montrent qu’un homme au service de l’argent et d’autres qui nous montrent l’argent au service d’un homme.

*

L’argent traversait l’ancienne société comme un fleuve dans un pays qu’il arrose : aujourd’hui le fleuve s’est débordé, et plus d’une vieille vertu roule noyée dans ses ondes. Il est aussi naturel de désirer l’argent pour ce qu’on en fera, qu’il est horrible de le désirer pour ne rien en faire.

*

Il y a des gens qui dépensent si joliment leur argent qu’on souhaite qu’ils en aient toujours.

*

Le plaisir d’un riche qui fait son testament n’est pas de penser à ceux qu’il enrichira, mais à ceux qu’il frustre.

*

Dépenser est un plaisir de poète.

*

Il faudrait que, de temps en temps, un poète eût une fortune à dépenser, pour montrer aux riches ce qu’on peut faire avec de l’argent.

*

Il n’y a guère que les poètes et les femmes pour savoir traiter l’argent comme il le mérite.

*

On voudrait être assez riche pour ne plus penser à l’argent, mais la plupart des hommes ne le sont que pour y penser davantage.

samedi 17 janvier 2009

Les Stones par Dominique Tarlé


Le Graal. Qui se négocie à 800$. Plus de 1.000$ même. Ça dépend des vautours - ou de ceux qui ont tout compris au rip-off. Ce Graal ? Exile de Dominique Tarlé. Un livre de photographies prises en 1970 à Nellecôte, Villefranche-sur-mer, alors demeure de Keith Richards et studio d'enregistrement des Rolling Stones pour ce qui allait devenir le double album Exile On Main Street, soit l'epitome musical des Stones. Le grand oeuvre est paru aux éditions Genesis en 2001, à 2000 exemplaires seulement. Vendus en quelques jours, cela va de soi... Reste aux laissés pour compte les mêmes clichés reproduits par les journaux tous les ans: Mick et Keith dans le salon (un des salons, vraisemblablement) jouant de la guitare acoustique, Mick en voiture, Keith et Gram Parsons sur la terrasse, Keith et Gram Parsons dans le salon (un des salons, vraisemblablement) ou Anita Pallenberg, Keith, Gram et sa copine Gretchen Burrell dans le salon (un des salons, vraisemblablement... on a compris).

Mick et Keith autour d'une bouteille de Perrier.

Époque dorée des Stones: non seulement ils enregistrent peut-être leur chef-d'oeuvre (les avis divergent selon l'emplacement de la lune ou quelque chose comme ça), mais ils se font photographier par Dominique Tarlé (qui est très bon, son livre le prouve) et, en tournée aux USA, se font suivre par Robert Greenfield (qui écrira le livre STP: A Journey Through America With The Rolling Stones - traduit en français Exile On Main Street: Une Saison En Enfer, un document exceptionnel à lire) et Robert Frank (photographe et réalisateur qui filma les Stones pour le film Cocksucker Blues, plus ou moins interdit par Mick Jagger, c'est trop long à expliquer ici, et qui reste le meilleur film jamais réalisé sur le rock. Pour l'anecdote, le preneur de son chevelu est mort d'une overdose aux Bahamas quelques mois plus tard).

Keith et Gram réinventent la country sur la terrasse... Gram, trop instable et taxeur d'héroïne, devra bientôt quitter la demeure. Lui et Keith ne se reverront jamais.

Bref, il s'agit d'une période faste pour les Stones. Le film Cocksucker Blues est aisément téléchargeable bien qu'il ne soit jamais sorti officiellement. Il est également visible sur YouTube (à quand le procès pour cette diffusion pirate ?). Par contre, le livre de Dominique Tarlé est bel bien introuvable pour le commun des mortels... Et d'autant plus convoité. Ce qui prouve la pérennité du livre à l'ère numérique.

jeudi 8 janvier 2009

Yoshihiro Nishimura - Tokyo Gore Police (2008)




Le film gore nippon de l'année 2008, réalisé par Yoshihiro Nishimura, qui n'est pas vraiment un inconnu puisqu'il est responsable du maquillage sur les films Meatball Machine (une variation de Tetsuo de Shinya Tsukamoto), The Machine Girl (l'histoire d'une lycéenne vengeresse avec une tronçonneuse à la place du bras) et Suicide Club de Sono Sion (la grande classe). Tous ces films ont la particularité de faire se déverser des hectolitres de ketchup ou autre jus de groseille en guise de sang.

Tokyo Gore Police, comme son nom l'indique, ne déroge pas à la règle. Dans un Japon futuriste ultra-sécuritaire où les publicités vantent l'automutilation chez les adolescentes, la police privatisée lutte contre un nouveau mal: des assassins mutants qui ont la particularité de créer des armes organiques quand on les blesse (un bras tronçonneuse, des yeux pistolets ou des seins gorgés d'acide, ce genre de choses...). Ces mutants sont appelés des "ingénieurs". Ruka (jouée par Eihi Shiina, la psychopathe d'Audition de Takashi Miike) est chasseuse d'ingénieurs et n'y va pas par quatre chemins pour les éliminer. Ruka est également à la recherche du meurtrier de son père, assassiné devant ses yeux alors qu'elle était jeune fille.

La speakerine de la police: sexy et déjantée...

Tokyo Gore Police est avant tout un divertissement et plonge légitimement le spectateur dans l'outrance et la potacherie. Nishimura fait plusieurs clins d'oeil au Starship Troopers de Paul Verhoeven, quand le film est entrecoupé de fausses publicités vantant les mérites de la police privée (en montrant des exécutions sommaires en direct ou des interventions très violentes où les images trop sanglantes sont censurées par des pixels) ou démontrant la qualité de couteaux de poche designés pour s'automutiler ou se faire hara-kiri.

"Regardez-moi dans les yeux... j'ai dit les yeux..."

Autre scène désopilante: un bordel où les prostituées sont génétiquement modifiées pour le plus grand plaisir des clients. Bonne nouvelle pour les amateurs de gore grotesque, Tokyo Gore Police aura sa suite, comme nous l'indique le pré-générique de fin et son: "More Gore Coming Soon!" Ci-dessous, la première scène de combat du film:


Finalement, le corps humain contient beaucoup plus que 5 litres de sang !