vendredi 14 novembre 2008

Une introduction à Jess Franco, acte 5

Franco contre Franco: le cinéma face à la censure (2è partie)

Le cinéma libre de Jess Franco

Première liberté que prend Franco, la plus flagrante visuellement: montrer les corps. Franco voue une obsession pour le corps de la femme et sa caméra se plait à épouser toutes ses formes. Dans Vampyros Lesbos, son film le plus connu, Franco filme plusieurs scènes de danse hypnotique ou de striptease. Franco n’hésite d’ailleurs pas utiliser les mêmes actrices d’un film à l’autre. En 1970, sa muse est Soledad Miranda, qui joue dans huit films de Franco en quelques mois avant de mourir tragiquement dans un accident de voiture à l’âge de 26 ans. Dans sa filmographie, on peut citer Eugénie de Sade et She Killed In Ecstasy. A partir de 1972, la muse de Franco est Lina Romay, qui devient sa compagne et qui continue de jouer dans ses films. D’autres actrices apparaissent régulièrement, ainsi Alice Arno, Monica Swinn, Karine Gambier, Pamela Stanford ou Brigitte Lahaie, célèbres actrices du cinéma érotique et pornographique des années 70.

La danse de Soledad Miranda dans Vampyros Lesbos. Sorti en Espagne sous le titre de Las Vampiras, le film est amputé de 20 minutes. Sacrée censure !

Franco va plus loin que dans ses premiers films. Prenons l’inceste, suggéré mais non abouti dans L'Horrible Dr Orlof (entre Orlof et sa fille adorée) et qui se réalise dans Eugénie de Sade (1970). Dans ce film, inspiré par Sade comme son nom l’indique, un père et sa fille vivent non seulement une relation incestueuse mais décident de commettre des meurtres pour leur plaisir et augmenter leur jouissance perverse. Soledad Miranda se livrera encore à une scène de striptease dont elle a le secret.

Soledad Miranda est la douce Eugénie. Au programme: inceste et meurtres en série.

Franco multiplie également les scènes érotiques entre femmes. A vrai dire, ces scènes sont presque systématiques et le corps nu des femmes est complaisamment montré, grâce aux nombreux gros plans légendaires de Franco qui transforment les corps en matière abstraites. Les corps sont souvent coupés de leur tête et la peau devient une surface comme une autre. Ce qui explique la présence récurrente de mannequin ou de statues. Dans la première scène de Vampyros Lesbos, une danseuse de cabaret donne vie à un mannequin par ses caresses. Dans Necronomicon, l’héroïne Lorna caresse une statue alors que son amant lui raconte une histoire d’amour. Dans Kiss Me Killer (1973) Lina Romay tente de séduire une statue d’Apollon en la caressant jusqu’à la jouissance, scène soutenue par une musique de jazz. Dans son étude sur Franco, Stéphane du Mesnildot évoque La Vénus à la Fourrure de Sacher-Masoch, où le héros Séverin, rencontre Vénus et sa peau de marbre luisant sous la lune. Selon lui, la présence de mannequin est propice à l’auto-érotisme et à l’acceptation de l’homosexualité. D’où les nombreuses scènes d’onanisme où la femme rêve ou réalise ses désirs lesbiens. Dans un film de vampire comme Vampyros Lesbos, il est donc aisé de comprendre pourquoi Jess Franco choisit un vampire féminin.

Liberté cinématographique rime donc avec liberté corporelle et esthétique chez Jess Franco.

La comtesse Nadine Carody dans Vampyros Lesbos: vampire pop et psychédélique des années 70. On est bien loin de Christopher Lee, deux ans plus tôt.

Dans la forme, ses films se font plus expérimentaux, insérant de longs plans d’ambiance. Il ne faut pas oublier que dans les années 60, le cinéma européen s'est considérablement renouvelé, les exemples les plus flagrants étant Godard en France, Antonioni en Italie et Bergman en Suède.

Jess Franco: acteur dans Eugénie de Sade ! L'une des multiples apparitions dans ses propres films.

C’est surtout dans la période 1967-1971 que Franco se libère du récit linéaire. Ceci est flagrant dans les films que sont Necronomicon et Venus in Furs. Dans ce dernier, Jimmy, un trompettiste de jazz se retrouve sur une plage, creuse dans le sable et reprend sa trompette qu’il avait abandonné auparavant. Alors qu’il se met à jouer, il aperçoit le cadavre d’une femme échoué sur l’estran. C’est celui de Wanda, une femme qu’il a connu et aimé. Jimmy tente alors de se souvenir quand et comment il a rencontré cette femme. Tout le film est en flash-back, une quête de la vérité. Cependant, comme l’écrit Stéphane du Mesnildot, Venus in Furs est construit autour d’une scène introuvable: l’assassinat de Wanda par des libertins lors d’une séance de SM (où l'on retrouve encore Klaus Kinski !). La recherche mentale de Jimmy est soutenue par ses chorus de trompette, propres à l’évasion et à l’iréel. Il faut savoir que l’origine du film se trouve dans une conversation entre Jess Franco et Chet Baker, qui disait: « Quand vous jouer, c’est magnifique de fermer les yeux et de commencer à improviser et, au fil du temps, de voir votre vie fragment par fragment, de se sentir transporté dans un monde irréel… et quand le solo s’achève, deux minutes ont passé, vous regardez les visages des spectateurs, et ils n’ont pas changé depuis que vous avez fermé les yeux - mais vous êtes parti et revenu ».

Janine Reynaud dans le rôle de Lorna (Necronomicon, 1967). Karl Lagerfeld signe les costumes du film. Jess Franco n'en pas eu besoin pour cette scène...

L’improvisation et le récit fragmenté sont aussi utilisés pour Necronomicon, film d’inspiration surréaliste, quasi-improvisé sur le tournage. Ici, Lorna, une actrice de cabaret, fait d’étranges rêves dans lesquels elle s’offre à des jeux érotiques pervers. Ses rêves la troublent énormément d’autant plus qu’elle rencontre dans la vraie vie des personnes de ses rêves. Interprétée par la sensuelle Janine Reynaud, Lorna plonge dans la plus grande confusion mentale. Les séquences de rêve évoque les séances de psychanalyse et les jeux automatiques surréalistes. Dans l'extrait vidéo ci-dessous, Lorna s'adonne à un jeu de question/réponse automatique. Par exemple: "Charlie Mingus ? Anger." "History of O ? Whips." "Justine ? Love." " Hitchcock ? Eyes." Et ainsi de suite. Ce film doit figurer en bonne place dans la vidéothèque de David Lynch.

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